vendredi 20 décembre 2013

Pendant ce temps, sur le fleuve Yalou

Pyongyang – Dandong
30 novembre 2013

Enfin une nuit où j'ai eu le temps de dormir. J'ai quand même passé une mauvaise nuit, agité, l'estomac sens dessus-dessous, et la tête qui tournait quand je me levais pour aller aux toilettes. Je n'ai pas vomi mais je suis bien malade.
Départ du train pour la Chine à la gare de Pyongyang
Les guides des deux groupes nous ont accompagnés à la gare et nous ont fait leurs adieux depuis le quai. Dans le train nous accompagnait une équipe de basketball féminine chinoise et casse-bonbons qui bousculait tout le monde, pressée de circuler dans le couloir en nous enjoignant d'avancer. Personne ne pouvait avancer. On attendait tous que les gens s'installent. Puis notre train, un train chinois, s'est ébranlé et nous avons traversé une campagne nord-coréenne désormais familière, avec des champs jaunes carrés et gelés sur lesquels des enfants s'amusaient à glisser accroupis en se propulsant avec des bâtons. Beaucoup de gens au bord des voies, à pied, à vélo. Des paysans travaillaient aux champs.
Paysage nord-coréen sans grand intérêt
Pour notre groupe de douze curieux de la Corée du Nord qui étions dans le train, c'était l'occasion de rigoler, de parler de nos camarades de voyage, d'échanger nos impressions sur ce voyage extraordinaire qui nous a laissé à tous une forte impression. À midi nous sommes allés prendre un repas pas terrible dans le wagon restaurant qui était, lui, coréen et froid, puis j'ai fait une sieste quasiment jusqu'à l'arrivée à la ville frontière de Sinuiju. Le train s'est arrêté près de deux heures pour la déclaration en douane, le contrôle des passeports, la vérification des bagages. Les douaniers sont montés pour faire les vérifications administratives, fouiller superficiellement le matériel informatique, les photos et/ou les bagages et s'assurer que nous repartons avec notre téléphone portable. Un Allemand qui voyageait avec nous s'est vu confisquer ses anciens wons nord-coréens qu'il avait achetés au magasin de souvenirs, Antoine a dû allumer son ordinateur, ce qui m'a donné de petites sueurs froides dans la mesure où quand on ouvre mon ordinateur, on tombe directement sur ce blog. Je n'y dis pas grand chose de très subversif mais comme le douanier ne comprend pas le français mais qu'il peut certainement lire Pyongyang et d'autres noms de lieux nord-coréens, il peut en déduire que j'écris quelque chose sur son pays, ce qui peut me faire passer pour un journaliste, or les journalistes, ils n'aiment pas ça en Corée du Nord. Le douanier n'a pas ouvert l'ordinateur mais il a regardé les photos. Au lieu de passer les photos en revenant en arrière, il les a passées en revue rapidement en avant, c'est-à-dire à partir de mon arrivée en Corée du Sud. Sans préméditation, j'ai donné un aperçu de la riche Corée du Sud à ce brave soldat dévoué de la Corée du Nord. Il a fouillé sommairement ma valise et m'a laissé tranquille. Le train est resté statique pendant longtemps. Quand le convoi est reparti, nous avions compris que nous étions tous dignes de ressortir de la Corée du Nord. Adieu les agentes de la circulation, l'architecture communiste, les toilettes nauséabondes, le lavage de cerveau, les courbettes kimiesques, les épuisantes journées de visite, le kimchi et une ambiance du tonnerre.
Au wagon restaurant du Pyongyang-Dandong
Nous avons enjambé le pont chevauchant le fleuve Yalu, qui marque la frontière entre la Chine et la RPDC, ce qui nous a permis d'apercevoir le contraste flagrant entre la Sinuiju nord-coréenne quasiment plongée dans la pénombre et la Dandong chinoise lui faisant face, elle crachant ses lumières du haut de ses grandes tours à la face de la Corée du Nord.
Le Pyongyang-Dandong, avec une basketballeuse chinoise et agaçante à l'intérieur
Nous avons passé l'inévitable contrôle douanier chinois, beaucoup plus rapide, puis nous sommes sortis du train pour rentrer dans une gare bien plus moderne que ce que nous avons vu pendant cinq jours en Corée du Nord. J'ai dit adieu au reste du groupe qui remontait dans un train pour Pékin, tandis que moi je suis parti avec mon guide chinois à l'hôtel, situé fort pratiquement juste à la sortie de la gare. Je n'ai eu que le temps de poser mes affaires avant de redescendre dans le lobby me faire emmener manger par le guide. Il était 18h30 et je n'avais pas faim. Je n'aurais pas eu faim non plus à 20h00 donc autant le faire le plus tôt possible et être libéré tôt. Le guide, Shan, est très sympa et m'a parlé de son pays, de la Corée du Nord et de l'économie chinoise. Dans le train, je m'étais dit que ce que nous avons vu de la Corée du Nord devait être assez similaire à ce que devait être la Chine il y a 30 ans. C'est ce que m'a confirmé Shan, qui a vécu l'époque des rations et de la période pré-Deng Xiaoping. Il m'a emmené dans un restaurant mal noté pour l'hygiène où j'ai mangé des nouilles et une soupe aux champignons, qui était très bonne mais extrêmement volumineuse. Shan, qui a l'habitude de travailler avec des Occidentaux, semblait faire attention à ne pas trop faire de slurps en aspirant ses nouilles ou sa soupe. C'était très appréciable. D'un côté j'apprécie la vie et la liberté relative qu'on a à être en Chine, de l'autre, les bruits de bouche et les crachats par terre ne m'ont pas du tout manqué quand j'étais en Corée du Nord.
D'un culte de la personnalité à l'autre : statue de Mao devant la gare de Dandong (Chine)
Je n'ai pas réussi à me connecter à Facebook avec mon téléphone et j'ai, après trois heures de rédaction dans une chambre chauffée néanmoins froide et sans eau chaude, encore malade, la flemme de descendre au lobby pour essayer de me connecter.

mardi 17 décembre 2013

Pendant ce temps, à Pyongyang

Nampo – Pyongyang

29 novembre 2013


Antoine, le Québécois avec qui je partage ma chambre, n'est pas rentré de la nuit. Je me suis dit que la soirée s'est soit très bien terminée pour lui, soit très mal terminée. Peut-être étais-je si profondément endormi que je ne l'ai pas entendu rentrer mais non, au réveil, j'ai trouvé le lit voisin fait, inutilisé. Je me suis réveillé tôt pour faire couler l'eau au moins vingt minutes afin qu'elle soit chaude. Ce n'est qu'après la douche, alors que je me brossais les dents en regardant pensivement à travers la fenêtre, en me demandant si j'aurais l'occasion de prendre des photos intéressantes dans le coin, que je vois Antoine qui me fait de grands signes depuis en bas. Il m'a expliqué que la porte du bas de notre maison, où se trouvent trois appartements, était fermée à clef et qu'il n'avait pas pu rentrer, car il n'y avait qu'une seule clef pour les trois appartements. Mon voisin qui descendait à ce moment-là s'est d'ailleurs retrouvé bloqué car la porte ne s'ouvrait pas non plus de l'intérieur. Il a dû récupérer la clef chez notre autre voisine, détentrice de l'unique clé du pavillon, et Antoine a pu rentrer et se préparer. Il a dormi par terre dans la chambre de camarades australiens qui faisaient encore la fête quand il est parti. Heureusement que je n'ai pas entendu plus tôt l'histoire d'un autre camarade qui a raconté au petit déjeuner qu'il avait entendu des coups de feu pendant la nuit.
Statue du cher leader prodiguant ses conseils éclairés sur l'agriculture à la brave population paysanne
De Nampo, on n'aura vu que le grand barrage et les baraques de notre sanatorium. Mais au moins, depuis notre autobus, on aura eu l'impression de visiter une région isolée de la Corée du Nord, en roulant sur une toute petite route pavée sinueuse et extrêmement cahoteuse, traversant de grands espaces vallonnés de champs jaunes et des forêts, en passant à bonne distance de villages de maisons individuelles identiques bien rangées aux toits recourbés.
Campagne et village de Corée du Nord
Notre premier arrêt : une ferme collective où nous avons commencé par nous incliner devant une statue de Kim Il-sung, exercice désormais banal et quasi mécanique. Nos accompagnateurs occidentaux ont déposé en notre nom des fleurs devant la statue. Ensuite, nous avons visité l'école de la ferme, où les petits enfants sont placés en pension pendant dix jours pendant que leurs parents s'échinent aux champs. Dans la première classe, une vingtaine d'enfants, âgés de six ans mais semblant beaucoup plus jeunes, s'entraînaient à écrire. Jusque là, le plus gênant, c'est qu'on rentrait dans la salle regarder des petits enfants nord-coréens apprendre à écrire comme on va au zoo voir les pandas copuler. Ils devaient se donner en spectacle et nos guides parlaient à voix haute dans la classe sans aucun ménagement pour la concentration des enfants. Dans la seconde classe, des enfants pas tellement plus grands apprenaient la vie et l’œuvre de Kim Il-sung et de Kim Jong-il sous la tendre férule d'une maîtresse émue qui faisait réciter aux enfants les hauts-faits du grand leader. Ça devenait un peu plus folklo. 
"Kim Jong-il il est plus fort que Chuck Norris"
En montant dans les étages, nous avons pu constater que les enfants nord-coréens étudiaient dans des conditions pas très différentes des nôtres : les murs étaient colorés et décorés de dessins enfantins représentant des petits lapins, des petits champignons, des petites fleurs, des petits pistolets... des petits pistolets ? Oui, et des petits tanks, des petits avions aux couleurs de la RPDC lâchant des bombes et des petits enfants coréens tuant des petits enfants soldats des États-Unis. Glaçant. Comme si cela ne suffisait pas, les petits élèves pouvaient admirer une série de dessins ressemblant à des photos représentant les tortures infligées par des soldats des États-Unis à de braves patriotes nord-coréens. Nous avons eu là la vision la plus dérangeante de notre voyage. Le culte de la personnalité, c'est une chose, mais la façon dont le régime conditionne les petits esprits à haïr un ennemi désigné fout un peu les chocottes. 
Militarisation des petits esprits dans une école de Corée du Nord
C'est pas bien de copier
Dans la dernière salle, enfin, les enfants nous ont donné un petit spectacle de danse, la maîtresse au piano. Bien coordonnés, ils ont enchaîné des exercices physiques en chantant en chœur, exécutant des rondes et jeux de mains (mais pas de vilains) entre eux. C'est à ce moment qu'ils sont venus nous faire participer à taper dans les mains, exercice pour lequel, comme la veille, ne connaissant pas la chorégraphie, nous avions l'air bien maladroits. Mais c'était rigolo. Les pauvres petits devaient être complètement intimidés de devoir faire un spectacle avec de grands Occidentaux habillés bizarrement et pas coiffés selon les quinze styles capillaires autorisés. Ils ont terminé leur performance par un jeu de pogo unijambiste : les enfants se mettent en rond, la maîtresse en choisit deux, le cercle se resserre, puis les deux combattants se prennent un pied avec les mains en le tenant devant la cuisse, puis, sautant à cloche-pied, ils se bousculent avec l'épaule jusqu'à ce que l'un deux perde l'équilibre. Le cercle d'enfants crie des encouragements sous nos yeux à la fois amusés par le spectacle et ébahis par tant de violence. Avant de repartir, nous avons encore vu une répétition d'un spectacle musical – même genre que la veille à l'école secondaire mais avec des adultes en doudoune – dans la salle des fêtes de la coopérative pas chauffée. Nous nous demandions comment ils pouvaient jouer de leurs instruments en ayant les doigts gelés.
Gymnastique matinale dans l'école d'une ferme collective
Paysage collectiviste et cyclable de Corée du Nord
Sur ces réflexions notre bus nous a emmenés visiter une usine d'embouteillage d'eau gazeuse, où nous avons eu droit à une dégustation gratuite. Très bonne eau naturellement gazeuse dont nous avons vu la source et dont la composition et la qualité ont été certifiées par un institut suisse. Si c'est pas une référence, ça ! Malheureusement, en raison d'une coupure de courant, l'usine ne fonctionnait pas mais nous avons quand même eu droit aux explications du guide local. Sur une idée de génie d'Antoine et inspirés par le site « Kim Jong-il looking at things », qui représente le cher leader disparu en 2011 en train de regarder avec la plus grande concentration grave un boulon, un livre, un biscuit, etc. derrière ses lunettes teintées, je me suis fait prendre en photo dans l'usine dans une position similaire. Le résultat est amusant mais il aurait pu être hilarant si d'autres camarades avaient joué le jeu et s'étaient placés derrière moi en train de me regarder avec admiration et respect ou en train de prendre des notes.
Le leader barbu en visite dans une usine d'embouteillage d'eau de source
Nous sommes retournés vers Pyongyang pour nous arrêter à la modeste ferme où serait né Kim Il-sung. Au-delà du grand moment de mystification, cela a été un intéressante occasion de découvrir le mode de vie paysan traditionnel coréen. La visite n'a pas été très longue, et c'est tant mieux, car elle se déroulait en extérieur et il faisait froid, quoique l'aimable soleil de novembre fût agréable. En retournant au bus, j'ai échangé quelques mots avec l'une de nos guides, une sympathique et souriante jeune femme de 27 ans, ai-je appris, qui m'a demandé ce que nous pensions en Occident de Kim Jong-un, le dirigeant actuel. Avant d'aller en Corée du Nord, on nous avait bien recommandé de ne pas aborder les questions de politique avec les locaux, ce qui relève du bon sens, selon moi, et là je me suis retrouvé dans une position où j'étais contraint de donner une réponse qui ne soit pas offensante pour mon interlocutrice, qui tenait certainement son grand leader en très haute estime (normal, il est grand). « Euh, il est considéré comme plus ouvert », ai-je dit sans m'étaler. Puis j'ai changé de sujet et la question n'a plus été abordée.
Maison natale de Kim Il-sung
À l'heure de manger, Antoine, souffrant d'une pénible nuit due à une porte fermée à clef, est resté dans le bus pour dormir et moi je suis allé prendre un énième repas royal avec quatre ou cinq plats que j'ai à peine touchés car je ne me sentais pas bien. Je ne pense pas que j'avais la gueule de bois mais plutôt que j'avais chopé un virus ou quelque chose. Je ne pouvais rien avaler. J'avais froid. J'étais éteint. Peut-être qu'un bon bain aux eaux bénéfiques de Nampo m'auraient aidé. Je suis retourné dans le bus avant la fin du repas pour fermer les yeux et essayer de dormir un instant.

Panorama urbain à Pyongyang
Plus la journée avançait et plus je me sentais mal. Fatigué, courbaturé, frigorifié, j'ai visité avec le groupe une grande bibliothèque monumentale où les Pyongyanguois et Pyongyanguiennes viennent s'instruire, et même en plusieurs langues. Bien sûr, toute une section est consacrée à l’œuvre des Kim, que des gens de tous âges étudiaient assidûment dans la salle de lecture. Notre guide locale avait vécu au Kazakhstan quand elle était petite et nous avons échangé deux trois politesses en russe. On nous a montré aussi une salle de musique, probablement la plus grande concentration de lecteurs de cassettes au monde au 21e siècle. Le jeune Jaime, un sympathique néerlandais de 18 ans qui voyage avec nous, nous a improvisé un petit concert sur le piano au fond de la salle, sans susciter aucun intérêt de la part des jeunes Coréens présents dans la salle. J'admire sa confiance.

La salle des radio-cassettes à la grande bibliothèque de Pyongyang
Après cela, le bus nous a rapprochés un peu de la grande place centrale, où nous nous sommes pendant un moment mêlés à la population, seulement pour rentrer dans une librairie en langues étrangères, où je n'ai rien acheté. Peut-être que j'ai beaucoup à apprendre des idées du juche mais j'ai préféré m'abstenir. Pas de posters non plus, ils ne me plaisaient pas. Nous avons marché un petit peu dans la rue jusqu'à la place centrale qui était un terrain d'entraînement idéal pour des jeunes faisant du roller et jouant au tennis. Nous sommes rentrés dans un café prendre une boisson chaude mais, là aussi, une coupure de courant empêchait la serveuse de servir toutes les commandes. 
Vue sur la grand' place de Pyongyang
Je suis resté prostré sur ma chaise, frigorifié et barbouillé, en buvant mon thé jusqu'à ce que nous repartions, direction le musée de la guerre de Corée, une vision toute subjective des événements qui se sont déroulés entre 1950 et 1953, où l'on apprend, preuves à l'appui, que ce sont les États-Unis qui ont déclenché la guerre. Cependant, le cadre et la présentation étaient tellement bons qu'on était prêt à croire tout ce qu'on nous disait : en plus des médailles, photos et plans de bataille de rigueur, on passe dans des salles reconstituant des tranchées coréennes, des champs de bataille, jusqu'au clou du spectacle, si on peut dire, un super diorama rotatif devant une fresque animée. Même en coréen, c'est super cool. Notre charmante guide avait commencé la visite en nous présentant des pièces militaires capturées aux Américains et le cuirassé USS Pueblo, capturé après la guerre de Corée sous prétexte qu'il violait l'accord de cessez-le-feu de Panmunjom. Les autorités présentent le Pueblo comme un trophée, une grande fierté pour les Coréens du Nord. Si la propagande et la modification des faits historiques en Corée du Nord fait peu de doutes, il faudrait aussi se demander quelle est la part de mystification dans nos livres d'histoire. Et si la guerre de Corée avait en effet été déclarée par surprise par les États-Unis pour les raisons officielles qu'on avance en RPDC ? Ce n'est pas impossible que, dans nos pays, on nous présente les faits d'une manière qui fasse passer le camp occidental pour les gentils libérateurs. Je dis ça, je dis rien.
L'USS Pueblo, un bateau impérialiste et espion
Monument aux combattants de la guerre de Corée et un hôtel en construction depuis les années 1990
Repas à nouveau. Toujours pas faim. Je me suis forcé à manger un peu de barbecue de canard avec tout ce qui l'accompagnait. Comme toujours, beaucoup trop de nourriture. Dans la salle à côté, on nous a montré un extrait des premiers jours de notre voyage en DVD. Une équipe de caméramans nous a accompagnés partout et filmait nos visites à cette fin. C'est une attention très sympathique mais payer 40 euros pour un DVD que je ne vais pas regarder, non merci.

Pyongyang, ville des amoureux (de Kim Il-sung), au crépuscule
Après une si grosse journée pendant laquelle je me suis senti patraque, je ne voulais malgré tout pas louper la dernière soirée avec le groupe, qui se déroulait au Club diplomatique de Pyongyang, un grand centre où se retrouvent les occidentaux travaillant à Pyongyang. Enfin peut-être, parce que je n'en ai pas vu. Nous avons établi le camp à la salle de karaoké, où les mêmes bourrins bourrés beuglant faux monopolisaient le micro à toutes les chansons, qu'ils les connaissent ou non. J'ai quand même pu chanter (avec grâce) deux ou trois chansons mais je suis parti à la fin de « Celebration » car la première navette de retour à l'hôtel se préparait à partir. Je n'ai pas pensé à dire adieu à notre accompagnateur Troy ni à tous ceux qui prenaient l'avion le lendemain et devaient quitter l'hôtel beaucoup plus tôt que nous autres qui rentrions en Chine en train. Du coup c'est le premier soir où je vais me coucher aussi tôt, à 22h30, et pourtant, j'ai l'impression qu'il est 1 heure du matin.

lundi 16 décembre 2013

Pendant ce temps, un beau jour de 1994


Pendant ce temps, à Nampo

Nampo

28 novembre 2013



La maison où a vécu et travaillé Kim Il-sung à Pyongyang abrite aujourd'hui le double mausolée où le peuple nord-coréen vient rendre hommage avec émotion à ses deux grands dirigeants décédés, le père et le fils, embaumés et visibles dans un sarcophage de verre. À Moscou, il y a plus de dix ans, j'étais allé visiter le mausolée de Lénine, où l'on devait se débarrasser de son manteau et passer au détecteur de métaux, puis on marchait plus ou moins en file indienne (autant que les Russes puissent le faire), et on passait près du corps embaumé sous verre de Lénine sans s'arrêter, juste le temps d'apercevoir un petit corps ressemblant à une poupée de cire. On n'y passe pas plus de dix minutes, douche comprise.  
Vu dans un magazine : Exposition d'art - des Coréens admirent des tableaux représentant Kim Il-sung admirant des tableaux. Ce n'est pas tout à fait une mise en abyme mais plutôt une plongée dans les abîmes du culte de la personnalité.
Au mausolée des Kim à Pyongyang, non seulement il faut se débarrasser de tout objet superflu, mais on nous fait passer par un long couloir menant au mausolée proprement dit, un détecteur de métaux et un nettoyeur de chaussures pour ne point souiller l'endroit le plus sacré du pays. Dans le corridor menant au mausolée, un tapis roulant traîne le fidèle pendant deux minutes, qu'il est interdit de raccourcir en marchant. Le partisan doit avancer en silence en prenant le temps de réfléchir à la gravité du moment. Nous, nous parlions un peu, à voix basse, même avec les guides, mais de sujets importants. On longe encore plusieurs couloirs décorés de photos des deux leaders apportant leur éclairage ponctuel aux divers corps de la société nord-coréenne, Kim Il-sung généralement souriant, heureux et photogénique et son fils Kim Jong-il généralement caché derrière des lunettes de soleil et concentré sur un objet ou pointant du doigt quelque chose derrière l'objectif. Dans une première salle, on doit s'incliner par rangs de quatre personnes devant un grand portrait des deux dirigeants, puis nous passons une dernière soufflerie pour nous débarrasser de toute poussière et nous rendre plus présentables. Enfin, nous rentrons dans une salle majestueuse gardée par des soldats et des surveillants, au centre de laquelle trône le cercueil de verre de Kim Il-sung. Tout le monde se met en rang par trois et, tour à tour, les rangs s'avancent en faisant face à la dépouille et s'inclinent pendant une ou deux secondes. Puis on passe sur le côté gauche et on recommence. Bien bas. Puis on fait le tour pour se présenter côté gauche et on s'incline une nouvelle fois, avec toute la solennité que requiert le moment. La visite se poursuit par une exposition des décorations, diplômes et médailles reçus par le fondateur de la Corée du Nord, médailles décernées par le Parlement de la Corée du Nord – en gros par lui-même –, par d'autres pays, pas seulement du bloc socialiste mais aussi du monde occidental, y compris de France, et par des organisations internationales. On passe ensuite dans une pièce où est exposé le wagon dans lequel Kim Il-sung voyageait à travers son pays et l'Eurasie.


Le mausolée des Kim à Pyongyang
C'est ensuite au tour de Kim Jong-il. Même procédure. On s'incline trois fois – une fois devant lui et une fois de chaque côté, mais pas derrière. Tout le monde doit jouer le jeu, quelles que soient nos convictions, sinon on ne vient pas en Corée du Nord, ou alors on se fait expulser. On feint de s'émerveiller devant les nombreuses décorations internationales exposées dans la salle prévue à cet effet, puis on apprend combien de kilomètres Kim Jong-il a parcouru pour aller à la rencontre de son peuple, en train essentiellement car il avait paraît-il une phobie de l'avion, au moyen d'une carte animée ; on voit le wagon dans lequel il voyageait et où il est mort, son bateau, sa voiture, ainsi que de nombreuses photos le représentant en compagnie de soldats, d'enfants ou de simples citoyens attendant de lui ses conseils éclairés. Dans une salle, en passant d'une momie à l'autre, une guide coréenne nous a expliqué d'une voix au ton exagérément chargé en émotion, des trémolos à la pelle, les circonstances de la mort de Kim Il-sung. Un grand moment de cinéma qui, semble-t-il, fait son petit effet auprès des Nord-Coréens, mais pas seulement.


Scène de rue à Pyongyang
Nous repartons par le même chemin, en empruntant les escalators et les tapis roulants jusqu'au vestiaire. En chemin, de nombreux Coréens que nous croisons, souvent bien mis, les hommes en costume-cravate et les femmes en habit traditionnel, nous dévisagent du coin de l’œil. Ils viennent peut-être de la campagne, où on ne voit pas beaucoup d'étrangers. Ils arborent tous une mine contrite, grave, car ils vont voir la dépouille de leurs deux dirigeants bien aimés, mais ils sont curieux de voir que des étrangers viennent aussi rendre hommage aux Kim. Peut-être sont-ils choqués de voir que nous ne sommes pas en costume ou que nous parlons sur le tapis roulant du retour. Mais je pense que la curiosité est le sentiment dominant. La visite du mausolée – l'ancien palais personnel de Kim Il-sung – se termine par un tour dans le parc faisant face au palais. À l'aller j'ai demandé à un de mes guides où vivait l'actuel dirigeant, Kim Jong-un, s'il y avait un palais présidentiel ou quelque chose du genre. Il m'a avoué qu'il n'en avait aucune idée, précisant que c'était une question de sécurité de garder le lieu de résidence du leader secret, mais je me suis demandé à quel point les guides croient ce qu'ils nous racontent. D'après notre accompagnateur Troy, ils savent des choses, croient certaines choses mais ne se font pas trop d'idées sur d'autres.
Scène de rue à Pyongyang

Suite du programme : visite du métro de Pyongyang. Dix-huit stations réparties sur deux lignes. On nous fait visiter trois stations : celle où on monte dans le train, une station intermédiaire et, six arrêts plus loin, une autre station où l'on revient à la surface. Il a beaucoup de similarités avec le métro de Moscou : très profond, décoré de fresques monumentales. Les wagons sont similaires, jadis utilisés dans le métro de Berlin-Est et donné à la chute du mur par la ville de Berlin, d'où les tags en allemand. Là, nous nous mêlons à la foule nord-coréenne. Les gens font à peine attention à nous. Un vieux nous invite avec insistance, en russe, à nous asseoir, alors que c'est nous, les jeunes, qui devons céder notre place aux personnes âgées. Il était souriant et avait l'air heureux de nous voir. L'expérience était fascinante et les stations photogéniques. Nos guides se sont pris un gros coup de stress à un moment quand ils se sont aperçus qu'une des nôtres manquait. Heureusement, elle avait pris le train suivant. Sur les quais du métro, les gens lisent le journal affiché sur des kiosques. Je m'imagine les titres tels que j'en ai vu dans des publications en anglais « Le leader Kim Jong-un monte sur un petit bateau en bois », « La forêt est plus frétillante que jamais », avec des informations cruciales comme « le leader Kim Jong-un, en visite dans une biscuiterie a goûté un biscuit et a dit qu'il était bon ». Comme à Moscou, les fresques mettent en valeur les réalisations de l'économie nationale et les exploits des leaders. Les portraits de ceux-ci surmontent chaque porte en bout de wagon dans le métro. À aucun moment il ne faut oublier qui c'est le chef ! En surface, à l'entrée des stations que nous avons visitées, on peut consulter un plan de métro interactif. Si on presse sur le bouton correspondant à la station où on veut aller, le plan indique par où aller et où changer. Dans la mesure où il n'y a que deux lignes qui se croisent à un endroit seulement, le système d'orientation paraît complètement absurde et inutile.

La carte interactive des deux lignes du métro de Pyongyang
Tout usager du métro de Pyongyang voyage sous la bienveillante supervision des Kim
En RPDC, la presse est tellement libre qu'elle est mise à disposition de tout citoyen gratuitement dans le métro

Nous sommes remontés en surface à l'Arc de triomphe puis nous avons repris le bus pour le monument du parti, édifice massif présentant trois mains tendant vers le haut une faucille, un marteau et un pinceau d'écrivain. Les deux premiers sont classiques mais le dernier n'est pas négligeable, car il symbolise l'adhésion des intellectuels aux idées du parti, qui n'est donc pas seulement un parti d'ouvriers et de paysans. Il faisait un temps extrêmement clair, un soleil radieux mais un vent à décorner les cocus. En chemin, plusieurs de mes camarades de voyage et moi-même avons essayé de prendre en photo les agentes de la circulation, qui, dans leurs costumes turquoise garnis de fourrure et sur leurs talons (tenue hivernale), sont les femmes les plus sexy de Pyongyang. Malheureusement, depuis le bus, c'est très difficile d'obtenir une bonne photo d'elles.

Le tramway de Pyongyang, une image familière aux habitués des anciens pays du bloc de l'Est
L'arc de triomphe de Pyongyang
Une agente de la circulation, parée de ses plus beaux atours
Monument du parti des travailleurs à Pyongyang

Repas de fondue coréenne. La viande dans le bouillon était pleine de gras et en très petite quantité mais d'autres plats, dans l'ensemble très bons, arrivaient tour à tour, jusqu'au riz à la fin. Après le repas, nous sommes allés voir la tour du Juche – l'idéologie locale de l'autosuffisance – qu'on apercevait très bien depuis le 33e étage de notre hôtel. On pouvait payer un petit supplément et monter au sommet de la colonne, au pied de la flamme, pour y admirer une vue incomparable de Pyongyang s'étalant dans toutes les directions. Le vent était toujours aussi fort, donc on ne s'attardait pas trop longtemps là-haut.

Fait pas bien chaud en haut de la tour du juche, à Pyongyang

Dernier arrêt à Pyongyang : un collège pour enfants doués, où des garçons et des filles – mais surtout des filles – en uniforme nous ont fait un spectacle incluant surtout de la musique et du chant et quelques chorégraphies. À la fin, les filles nous ont invités à danser avec elles. On ne savait pas trop quoi faire, car il fallait suivre une chorégraphie dont on n'avait aucune idée. Comme toute bonne danse de groupe avec des touristes qui se respecte, nous avons terminé par une ronde tous ensemble, au son des jeunes élèves jouant du clavier, de la batterie, de l'accordéon et de la basse.

Nous autres et eux autres
Fini Pyongyang pour aujourd'hui. Nous nous sommes mis en route pour la côte ouest, plus précisément Nampo. Dès la sortie de Pyongyang nous nous sommes trouvés sur une route à 2x6 voies quasiment inutilisée, surtout que la chaussée de l'autre côté n'avait pas de revêtement et était donc impraticable. De notre côté non plus la route n'était pas terrible. On ne dépassait probablement pas le 70-80 km/h, comme sur l'autoroute de Kaesong. Le paysage ne présentait pas grand intérêt, donc après un peu de rédaction sur mon ordinateur, je me suis endormi, jusqu'à ce qu'on arrive à notre première destination : une grande digue complétée par un barrage qui, nous ont répété les guides, a changé la vie de tous les gens de la région. Je veux bien le croire, car l'installation monumentale – dont la construction aurait dû, selon les ingénieurs, durer 20 à 30 ans, mais qui a duré seulement 5 ans grâce à l'intervention de l'armée – a permis de réguler le niveau du fleuve Taedong, d'empêcher la mer de remonter jusqu'à Pyongyang, et de permettre une meilleure irrigation avec de l'eau douce. Sur l'île d'où l'on a un panorama sur la digue, les montagnes et la mer, de jeunes mariés en costumes traditionnels venaient se faire prendre en photo devant le monument représentant une ancre afin d'immortaliser le plus beau jour de leur vie. J'ai aussi immortalisé l'instant. On nous a dispensé un petit cours sur la construction de la digue, dont Kim Il-sung lui-même, figurez-vous, a choisi l'emplacement, puis le bus est reparti sur la digue et sur un chemin de terre pour nous emmener à notre hôtel. En chemin, de nombreux passants nous saluaient, pas du tout traumatisés par le fait que nous soyons des occidentaux impérialistes et bellicistes qui veulent détruire leur beau pays en le vendant aux capitalistes.

Le monument à la construction de la digue de Nampo

L'hôtel est, je crois un sanatorium autrefois réservé à l'élite du régime et aujourd'hui reconverti pour accueillir des groupes de touristes occidentaux. On sent un certain luxe suranné. La belle moquette avec plancher chauffant, les nombreux rangements, les fauteuils, les grands lits. L'intérêt majeur de chaque chambre est le bain bouillonnant. L'eau qui sort des robinets est non seulement potable mais a des propriétés curatives (d'après le prospectus, on pourrait croire que la seule chose qu'elle ne soigne pas, c'est la mythomanie) et on peut s'en servir pour remplir une grande baignoire pour faire un genre de jacuzzi. Ce n'est pas le genre de choses qui m'intéresse et je me suis dit que j'allais laisser tomber, puis j'ai changé d'avis et j'ai commencé à faire couler l'eau. Au bout de 10 minutes, toujours pas d'eau chaude. Ma foi tant pis, pas de jacuzzi, donc ; je survivrai. Mais si la douche est froide comme ça demain matin, il est peu probable que je me lave. Notre accompagnateur Troy nous a expliqué qu'il fallait une vingtaine de minutes pour que l'eau vienne. On verra demain.
La digue, la digue (de Nampo à Montaigu)


Repas au restaurant du sanatorium puis soirée billard-bières-soju-ping-pong. Bonne ambiance, bonne compagnie. J'ai tenu jusqu'à 1 heures et puis l'appel du blog s'est fait entendre.

jeudi 12 décembre 2013

Pendant ce temps, en Corée du Nord

Pyongyang – DMZ – Kaesong

27 novembre 2013



Appel de réveil prévu à 6h30, petit-déjeuner à 7 heures – buffet de viande, kimchi, repas complet salé si on le souhaitait, accompagné de vidéos de gymnastique coréenne, avec la musique qui va avec, j'ai eu comme une grosse baffe de Véronique et Davina, la douche en moins – et départ des bus à 7h30. Direction le sud et la zone démilitarisée, dont j'ai déjà parlé dans ce billet. Le jour se levait tout juste quand nous sommes partis de Pyongyang. De ma chambre d'hôtel au 33e étage, j'ai une vue imprenable sur le fleuve Taedong, qui encercle notre hôtel, et sur la tour du Juche, l'idéologie communiste de l'autonomie à la sauce locale, belle tour sur laquelle est juchée (ha !) une flamme rouge qui m'a l'air fort massive. De nuit, on ne distingue presque pas la sombre rivière des zones construites, qui devraient montrer signe de vie par des lumières émanant des appartements. Les lumières sont très faibles et on ne voit que quelques points lumineux de part et autre du fleuve. À 7 heures la ville s'éveille et les rues se remplissent (« s'encombrent » seraient un peu hyperbolique) de voitures. Avant d'arriver en Corée du Nord, j'imaginais des rues et des carrefours quasiment sans voiture, mais il paraît que cela a beaucoup changé depuis un an environ. Les rues sont désormais animées par des taxis pékinois et des voitures, chinoises surtout.

La vue depuis la chambre 3307 du Yanggakdo, à Pyongyang
La route qui mène de Pyongyang à la zone démilitarisée et qui passe par Kaesong est la principale voie de communication routière du pays : une autoroute d'environ 200 km de long passant à travers des paysages splendides de montagnes et de rizières. Quelques paysans travaillaient aux champs mais on n'a pas vu beaucoup de machines agricoles. Le bœuf est la principale force de traction à la campagne. Une autoroute dans un pays où les gens n'ont pas de voiture, c'est un peu incongru, mais selon moi, il s'agissait pour le régime à la fois de donner du travail aux ouvriers et de mettre en pratique l'enseignement en ingénierie routière en construisant des ponts et des tunnels dans un environnement accidenté, mais aussi de créer une voie de communication pour le transport de troupes vers le sud. En cas d'invasion depuis le sud, les tunnels, parfois inutiles pour le simple transport de véhicules, peuvent être détruits afin de barrer le passage aux troupes ennemies. 
Il est sept heures, Pyongyang s'éveille
 
Il faut trois heures pour rallier la zone démilitarisée depuis Pyongyang, pour une distance de seulement 170 km. La route est très mauvaise et cahoteuse : les nids de poule sont nombreux, il n'y a pas de marquage au sol et le revêtement n'est pas régulier. La route est la plupart du temps vide mais aussi empruntée par les piétons et les vélos. De plus, la météo n'était pas de notre côté ce matin et des groupes de paysans « volontaires » balayaient la neige sur la route. Nous avons fait une halte dans une station de repos où nous avons pu nous mettre au milieu de l'autoroute et photographier des deux côtés l'absence complète de circulation. Une passerelle contenant un restaurant déserté enjambe l'autoroute mais le café et les souvenirs étaient vendus au premier étage de notre côté de l'autoroute.

L'"autoroute" Pyongyang-Kaesong
L'autoroute en service la moins dangereuse à traverser au monde
Paysages nord-coréens, dont la beauté bucolique a probablement été inspirée par "notre cher leader"

À l'approche de la DMZ il a commencé à neiger plus fort et le paysage alentour devenait de plus en plus blanc. Nous avons passé plusieurs barrages militaires légers, où il fallait ralentir pour attendre que la barrière s'ouvre et ne pas prendre de photo, puis nous sommes arrivés à l'entrée de la DMZ à proprement parler. Nous avons visité l'endroit où a été signé l'armistice mettant fin aux hostilités entre les troupes engagées dans la guerre de Corée. Un gradé nord-coréen nous a fait la leçon d'histoire de façon professionnelle mais détendue. On pouvait même le photographier alors qu'on a pour stricte consigne en Corée du Nord de ne pas photographier les militaires. Il faisait un temps affreux : grosse neige, froid glacial. Mais la neige cachait la laideur du paysage, comme partout ailleurs, et donnait un éclat de pureté aux champs normalement jaunes et ternes en cette saison. La joie que procure généralement la neige n'a pas épargné les locaux : nos guides s'amusaient à glisser sur la neige et à s'envoyer des boules de neige alors que nous nous trouvions dans un endroit où la contenance était de mise au vu de sa situation militaire. Cela m'a donné une fois de plus une autre perspective sur la vie en Corée du Nord. Les gens n'y sont pas des automates sans émotions qui font preuve d'une retenue indéfectible quelle que soit la situation. Ce sont des êtres humains qui, malgré l'endoctrinement, aiment s'amuser quand l'occasion se présente.

Pénurie de parapluies en RPDC
Notre militaire nous explique la DMZ et la JSA

On nous a fait visiter une petite salle en nous expliquant la situation géopolitique de la zone démilitarisée, juste après un petit magasin de souvenirs, puis on nous a emmenés en bus dans la Zone commune de sécurité (JSA) où j'étais allé depuis Séoul deux semaines auparavant. Si la visite du côté sud était minutée et extrêmement contrôlée, au nord, on nous laissait paradoxalement beaucoup plus de champ libre. On pouvait photographier où on voulait, y compris les militaires, le groupe était très dissipé et bruyant. Nous sommes montés sur le balcon du grand bâtiment d'apparat faisant face à la zone sud, avons pris des photos de groupe et avec les militaires, mais nous ne sommes pas descendus dans les baraques bleues par lesquelles on peut traverser la frontière. Ça a été une petite déception pour moi mais l'expérience de la JSA côté nord a quand même été très bonne.

Sous la neige à la JSA
Face à la Corée du Sud

Après la JSA, on nous a emmenés à Kaesong, l'une des plus grandes villes du pays et première capitale de la Corée unifiée, dans un restaurant servant un repas avec plein de petites choses à goûter. Rien de bien nouveau cependant quand on a passé un mois en Corée du Sud. 
Néanmoins, moyennant 5 euros par personne, on pouvait commander de la soupe de chien. Intéressé par l'expérience, je me suis fendu de 5 euros et j'ai goûté. Beaucoup de personnes étaient révoltées à l'idée de manger du chien, mais il le reconnaissent eux-mêmes, c'est psychologique. 
Kaesong
Ouh, c'est un bon toutou ça
Eh bien je dois dire – que Bonnie, Wolf, Puchi, Flaco, Boogie et Martigalka me pardonnent – que c'était excellent. C'était même ce qu'il y avait de meilleur pendant ce repas : un bouillon un peu épicé et de petits morceaux de viande très tendre. Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas sûr qu'on nous ait vraiment servi du caniche. Le goût était exactement celui de l'agneau. Officiellement, c'était du chien. En Europe, on ferait plutôt le contraire : on vendrait du chien en le faisant passer pour de l'agneau.


Le repas a été suivi d'une visite d'un palais/université fondé par un roi de Corée. Notre guide nous a conté ses exploits et nous a montré des artéfacts produits à l'époque de ce roi, dans un édifice typiquement coréen comme j'en ai vu des tas au sud. Notre visite de Kaesong, une des rares villes qui n'aurait pas été rasées par les bombardements américains et qui donc recelait encore de vieux quartiers traditionnels, s'est terminée non pas par un tour dans les vieilles ruelles mais par une visite du magasin de souvenirs. Pour finir, nous n'avons pas vu le côté traditionnel de Kaesong. La neige s'était arrêté de tomber et il s'était mis à faire un temps magnifique qui faisait resplendir le paysage tout enneigé. 

Dans le bus, je me suis assis sur le strapontin à côté du chauffeur et j'ai mitraillé le paysage avec mon appareil photo. J'étais au premier rang pour voir l'autoroute tantôt vide, tantôt remplie de paysans balayant la neige.

Pyongyang - 144 km
"Volontaires" déblayant l'autoroute

Le tourisme intensif et les trois heures seulement de sommeil ont eu raison de ma motivation à tout voir et je me suis assoupi l'appareil photo entre les mains. Nous avons fait une nouvelle halte à la station de repos sur l'autoroute puis nous avons poursuivi vers Sariwon, une jolie petite ville où nous nous sommes contentés de grimper au sommet d'un rocher sur lequel trônait une petite maison de thé de style coréen pour admirer la vue. Le vent était glacial et nous n'avons pas tenu bien longtemps. En bas, où le bus nous attendait, se déroulait un spectacle autrement plus intéressant, même si la vue d'en haut était effectivement magnifique. Nous étions à ce qui m'avait tout l'air d'un carrefour routier, en pleine ville, entouré un petit lac, d'une rivière et de petites maisons traditionnelles et où transitaient des dizaines, voire des centaines, de cyclistes et de piétons. Pour voir des Nord-Coréens, c'était idéal. J'ai conscience que je parle des Nord-Coréens comme de la section primates au zoo de Beauval, mais de notre point de vue, ils sont une curiosité, puisqu'on n'en voit jamais, y compris en Corée du Nord, où les contacts sont limités.

Sariwon, vu de haut et de très froid
Sariwon
Enfants de Sariwon (Corée du Nord)

Le froid était mordant et nous sommes vite retournés dans le bus pour repartir à Pyongyang. Nous avons occupé notre temps à jouer à des jeux en groupe animés par notre accompagnateur de YPT, Troy. Pour nous récompenser d'une intense et froide journée de tourisme, on nous a fait visiter une micro-brasserie. En fait on est simplement allé dans un bar où on servait deux sortes de bières – une brune et une blonde, pas mauvaises du tout – produites apparemment sur place. Partout où nous allons, nous sommes généralement les seuls individus, en dehors du personnel. C'est à se demander si les endroits n'ouvrent pas seulement pour nous. La micro-brasserie n'a pas fait exception, car apparemment seuls quelques privilégiés ayant en poche des devises peuvent y aller. Le peuple, lui, ne fréquente pas ces endroits. 
La brune de la micro-brasserie de Pyongyang
Nous avons ensuite repris le bus pour aller au restaurant manger un barbecue de canard, ce me semble. C'était très bon. Bien lancés grâce à la micro-brasserie, nous avons repris des bières et je me sentais de boire du soju, la gnôle locale, pas très forte, mais vraiment pas bonne. Au Sud, j'avais pourtant bien aimé le soju, qui passait tout seul. Vers la fin du repas, une serveuse a commencé à jouer de l'accordéon et les quatre autres ont chanté et dansé, essayant d'entraîner certains d'entre nous. J'imagine qu'elles chantaient des chants patriotiques. Le seul que j'ai reconnu, d'après l'air, c'est l'Internationale, au son de laquelle l'Italien de notre groupe, un peu plus âgé que le reste du groupe, s'est levé pour bafouiller les paroles. Personne à par lui et moi ne semblait avoir reconnu la mélodie, ni même connaître la chanson. Mes compagnons de voyage sont soit trop jeunes soit trop ignorants.

Dave célèbre ses 24 ans en RPDC

La veille, au bar de l'hôtel, il y avait eu une ou deux coupures de courant, qui n'ont duré que quelques secondes. Ce soir au restaurant, il y a eu deux coupures qui ont duré une bonne minute chacune, ce qui est assez long. Mon voisin de table, Dave, un Australien, avait son anniversaire la veille et les serveuses sont venues lui apporter un énorme gâteau, pas mauvais du tout. L'ambiance était vraiment bon enfant, très joyeuse. Tout le monde voulait des photos avec les serveuses ou avec l'un des rappeurs américains venus en Corée du Nord tourner un clip pour devenir célèbres de retour chez eux.
Pas YMCA du tout
La musique traditionnelle kimilsunguiste rencontre la musique traditionnelle étasunienne

Retour en bus à l'hôtel, le temps d'une ou deux chansons par nos guides et accompagnateurs – Troy a même chanté la chanson traditionnelle coréenne Arirang – puis après être passé dans les chambres, nous sommes redescendus au sous-sol de l'hôtel ou plusieurs personnes étaient réunies autour des tables de ping-pong. J'ai un peu joué, un peu rouillé mais je me suis pas mal débrouillé, puis nous avons voulu faire un karaoké mais il y avait apparemment une réunion d'affaires qui s'y déroulait. Les autres sont allés à la salle de billard, moi j'ai préféré rentrer dans ma chambre pour faire mes trucs. Et je dois avouer que ça fait du bien, après toutes ces heures d'activités de groupe, de se retrouver seul un petit moment.