samedi 2 août 2014

Pendant ce temps, à Pékin


Pékin
3 décembre 2013


Toujours un peu en convalescence, avec une toux persistante et une fatigue générale, je me suis permis de me la couler un peu douce ce matin, traînant au lit et n'émergeant de ma chambre qu'un peu avant 13 heures. Néanmoins, le reste de ma journée touristique a été bien rempli.
 
Je me suis dirigé vers la Cité interdite en passant par les petits hutongs pour aller dans un parc où on peut monter sur une colline pour voir la ville et notamment la Cité interdite de haut. En avançant vers mon but, je me suis aperçu que la distance depuis l'entrée nord de la Cité interdite est inversement proportionnelle au nombre de chauffeurs de rickshaws proposant de m'emmener ici ou là. C'était le milieu de la journée, le soleil était encore assez haut au sud, or la colline est située au nord de la Cité interdite, ce qui signifie que toutes les photos auraient été à contre-jour. Pas con, le mec.

Alors j'ai préféré remettre à plus tard mon ascension de colline et j'ai poursuivi quelques centaines de mètres plus loin pour profiter du parc Beihai, et notamment de l'île sur laquelle se trouve un joli petit temple bouddhiste. Le cadre est bucolique. À peine les portes du parc franchies, on se trouve coupé de l'agitation de la ville. L'île se trouve sur un grand lac qui, malgré la douceur de la journée, était gelé. De la musique orientale provenait de l'île : des personnes d'âge mûr dansaient en costumes. Il ne s'agissait ni d'un bal, ni d'une démonstration de danse d'une province particulière de la Chine mais, je pense, d'une activité sociale entre personnes du même âge, qui par ailleurs leur procurait une forme d'exercice physique agréable.

Je me suis promené sur l'île en suivant le chemin pour arriver au sommet d'une colline où se dresse une tour blanche, qui a une vocation religieuse, mais je ne sais plus laquelle. Avant d'y parvenir, j'ai traversé des temples, sonné trois fois une cloche pour me porter chance pendant un an [pas d'amélioration notable au moment de la publication du présent billet], observé diverses divinités religieuses, dont certaines en train de copuler (du coup je me demande si j'étais bien dans un lieu de culte bouddhiste), puis j'ai grimpé une bonne cinquantaine de marches bien raides. D'en haut, c'est pas mal mais il y a beaucoup de végétation qui obstrue la vue. Je suis descendu de mon promontoire en passant faire un tour dans une grotte pas du tout intéressante mais pour laquelle, comme tout le reste, il faut débourser quelques yuans.

Sorti du parc, je me suis retrouvé dans une petite ruelle marchande très animée où les gens du quartier venaient faire leur marché. C'était la première fois, je crois, que je voyais un petit marché de ce style en Chine. Un lieu de commerce à taille humaine. Quelques mètres plus loin se trouvait l'entrée du parc Jingshan, où, là aussi, des gens pratiquaient des exercices physiques, notamment du taï-chi, ou simplement faisaient des pas rapides en écartant gracieusement les bras. Un type faisait des enchaînements avec les bras qui semblaient provenir d'un art martial, tandis que d'autres simplement s'exerçaient au saxophone ou à d'autres instruments. Moi aussi j'ai fait mon petit exercice physique du moment en montant au sommet de la colline pour aller admirer la vue sur la Cité interdite. Le soleil était encore haut et éblouissait quiconque souhaitait jeter un œil à la merveilleuse Cité interdite, dont la majesté se révèle encore mieux avec un peu de recul. On voit que c'est un immense village carré aux maisons bien rangées et serrées, uniformes, riches, traversées par une ligne de temples colorés et de place grandioses. Le Bouddha du parc Jingshan a une bien belle vue du haut de son promontoire.

Envisageant d'aller au temple des lamas (les religieux, pas les animaux) en sortant du parc, je me suis dirigé vers le nord mais après consultation du plan, je me suis rendu compte que c'était un peu loin à pied. Et puis, des temples, j'en avais déjà vu plein. Je me suis dirigé vers une station de métro en traversant un quartier populaire où j'ai observé des personnes âgées s'attrouper autour de jeux d'échecs chinois alors que des pongistes par dizaines jouaient juste à côté.

Pour changer des temples, j'avais eu la curieuse idée d'aller voir un grand marché aux puces plus au sud-est, ce qui m'a permis de faire une nouvelle expérience sociale. Pas le marché, non : prendre le métro de Pékin à l'heure de pointe. J'avais l'impression que le milliard et des brouettes de Chinois étaient tous dans les sous-sols de leur capitale, quand j'ai fait mon petit trajet. Serrés comme des raviolis vapeur dans les rames, pris dans le courant des tunnels de correspondance, duquel il n'est pas permis de sortir. Au retour, coincé au fond de la rame, j'ai cru que je ne pourrais pas sortir à mon arrêt, car personne ne descendait du train. J'ai dû jouer des coudes pour pouvoir respirer à l'air libre recyclé de la station de métro.

Le marché a été une petite déception. Je pensais qu'il me resterait une heure avant la fermeture pour pouvoir chiner (et non pas chinoiser) un peu. Pas que je voulais rapporter un fauteuil Louis XV ou un chien de faïence, même pas un cendrier Ricard, mais je voulais voir ça par curiosité. Et si par hasard je voyais un bel atlas, qui sait ? Mais il faisait déjà nuit, les lumières étaient rares et on rangeait les étals. J'ai fait le tour des travées pour voir s'il y avait autre chose que les vendeurs de pierres puis je suis tombé sur une grande esplanade qui devait être le coin vide-grenier. De nuit, à l'heure ou tout le monde remballait et où on commençait à faire le ménage, la place ressemblait à un campement informel où l'on ne distinguait plus vraiment les babioles à vendre des détritus jonchant le sol.

Ma prochaine étape était le « marché de nuit », célèbre pour ses brochettes originales. En sortant du métro, j'ai suivi la foule et je me suis retrouvé dans une grande avenue commerçante piétonne tout illuminée. Quel heureux répit de pouvoir marcher, même si la rue était bourrée de monde, sur un espace large sans voitures, ni vélos, ni vélomoteurs pouvant arriver de n'importe quelle direction à n'importe quel moment. Les vélomoteurs sont d'autant plus dangereux que beaucoup sont électriques et silencieux et qu'ils arrivent vite et souvent sans phares la nuit. Rien de tout cela ici. Je suis rentré dans une grande librairie où je me suis acheté un petit atlas du monde en chinois (à défaut d'un grand) puis j'ai remonté la rue jusqu'au marché. Une ou deux jeunes femmes sont venues m'aborder, magnétisées par mon charme et mon charisme, mais aussi voyant en moi un pigeon à plumer en m'emmenant dans un bar et en me laissant la note. Non, désolé, pas ce soir.

Je suis tombé sur la rangée d'étals de nourriture du « marché de nuit » un peu plus loin. Entre les classiques brochettes de porc, les kebabs d'agneau et les canards laqués, les commerçants taquins proposent aux touristes réprimant un certain dégoût des brochettes de serpent, de gros vers ou de scorpion. Le serpent, pas de problème ; les gros vers, je prends pour excuse que j'en ai déjà mangé en Corée ; le scorpion, bien frit, je pourrais le mettre dans ma bouche. Mais il y a un truc qu'on ne mettra pas près de mon visage, même frit, ce sont les grosses araignées. Pas question. Je suis parti en comptant bien revenir avant mon départ pour l'Europe, si possible avec un témoin (je pense à Antoine). En attendant, j'ai pris une brochette de fruits caramélisés, vraiment pas aussi bonne que celle de la veille.

Objectif suivant : me faire couper les tifs. Dans les hutongs, on voit souvent des rouleaux verticaux noir et blanc ou rouge et blanc qui tournent devant un magasin. Ils annoncent la présence d'un coiffeur. Je me suis dirigé vers mon hôtel et je suis rentré chez le premier coiffeur qui semblaient s'occuper des hommes. J'ai demandé au type s'il pouvait me prendre pour les cheveux et la barbe mais il a un peu paniqué et m'a gesticulé que la barbe, c'était pas possible. Dans ce pays où les gens sont globalement imberbes, je comprends qu'une belle barbe flamboyante comme la mienne puisse intimider mais y donner un coup de tondeuse, ça ne demande pas d'avoir un doctorat en capilliculture, quand même ! Je pense cependant qu'il y a eu un petit malentendu avec le jeune homme, d'autant plus probable que nous communiquions essentiellement en gestes. Il a dû croire que je voulais être rasé. Nenni ! Je l'ai compris quand je suis rentré chez le second coiffeur, qui a tout d'abord refusé, mais j'ai insisté en me rendant compte que ma formulation gestuelle n'était peut-être pas assez claire. Il a sorti la tondeuse, j'ai opiné et j'ai eu droit à un shampoing, une coupe aux ciseaux et une taille de la barbe pour 30 yuans (3,60 euros), avec en prime au moment de payer, le show d'une énorme sauterelle que les gars qui traînaient au salon de coiffure se trimballaient et avec laquelle ils jouaient. Un monstre. María aurait adoré.

Je suis rentré à l'hôtel avec au moins huit kilos de poils en moins, j'ai acheté un peu d'eau et des biscuits pour ma rando à la grande muraille de demain, puis je suis allé manger. Dans un hutong, j'ai vu un restaurant de spécialités du Yunnan qui m'avait l'air agréable et propre, où j'ai mangé un très bon porc sauté à la citronnelle et au piment. Un peu épicé, du coup, même pour moi. J'ai fini le repas par un cheesecake du café de l'hôtel, puis je me suis mis au travail à l'ordinateur. Pfiou. Ça se termine enfin ! Pas de publication ce soir sur Internet, il est déjà trop tard.

vendredi 17 janvier 2014

Pendant ce temps, à la Cité interdite

Pékin
2 décembre 2013

 Donc a priori une longue nuit de sommeil, bercé par le roulis du train. La couchette était étroite et dure et suivant que le chauffage était en route ou non, il faisait tantôt trop chaud, tantôt trop froid. Je me suis réveillé à peu près vers 7 heures, quand tout le monde a commencé à s'agiter pour descendre à Tianjin.
Le soleil se lève sur la ligne Dandong-Pékin
Le train est arrivé avec un peu de retard, je pense, à Pékin. Je devais trouver une consigne pour laisser ma valise et partir sur-le-champ à la Cité interdite, où j'avais rendez-vous avec Antoine à 9h30. Le train étant arrivé seulement un peu avant 9 heures, je n'avais pas le temps de m'asseoir prendre un petit-déjeuner et me brosser les dents, d'autant plus qu'une fois le train arrivé, on est entraîné vers la sortie de la gare et on ne peut plus y rentrer, à moins d'avoir un billet pour un train en partance.

Je suis arrivé à l'heure au rendez-vous mais il y avait de longues files d'attente pour la sécurité. Je me demandais comment j'allais retrouver Antoine, mais il ne devait pas être loin. Le Premier ministre britannique était, semble-t-il en visite officielle à Pékin, d'où les drapeaux britanniques et les contrôles de sécurité. Il se trouvait qu'Antoine était dans la file à côté et qu'il me faisait de grands signes pour que je le rejoigne. J'ai passé les contrôles de sécurité avec ma grosse valise sans souci aucun, on ne l'a même pas vérifiée. Nous avons été alpagués par des dizaines de soi-disant guides qui nous proposaient avec insistance de nous faire visiter la Cité interdite. Nous les avons tous refusés. J'ai trouvé une consigne pour laisser ma valise où on m'a expliqué avec les plus grandes difficultés que je pouvais la récupérer à la porte nord de la Cité interdite, ce qui me permettrait de visiter le palais sans avoir à revenir sur mes pas. Super pratique. C'est aussi là qu'on a appris que la Cité interdite fermait aujourd'hui à midi, comme tous les lundis, ce qui ne nous laissait qu'une heure et demie pour en faire le tour.
La Cité interdite, à Pékin
Finalement, une heure et demie, c'est suffisant. On aurait peut-être pu visiter certaines sections pour lesquelles il fallait payer un supplément ou des recoins cachés, mais nous avons vu l'ensemble. Cela m'a rappelé le palais Gyeongbokgung à Séoul : plusieurs édifices luxueux dans une enceinte fermée, mais la Cité interdite dégage davantage de grandeur, selon moi. Peut-être ce sont les proportions qui donnent à l'ensemble son intérêt esthétique. Nous avons eu en outre la chance d'être gâtés par un temps magnifique et une belle lumière matinale. J'avoue que je n'ai pas grand chose d'autre à dire sur la Cité interdite. Une belle visite quand même.
Cité interdite
À la fin de la visite, à la porte Nord, j'ai effectivement récupéré ma valise. Lonely Planet nous avait prévenus mais à la sortie de la Cité interdite, des chauffeurs de rickshaws par dizaines nous proposaient leurs services pour une somme modique. Ils s'adressent à tout le monde. Mais quand on traîne une grosse valise et que, de surcroît, on déplie une carte de Pékin, on a l'impression qu'ils sont des milliers à se jeter sur nous. On a beau s'éloigner, il en vient toujours un autre qui a l'air de penser qu'il est le premier. En fait il a forcément vu qu'on a dit non aux 25 premiers et que, donc, il n'y a pas de raison pour qu'on lui dise oui à lui. Nous nous voulions seulement nous éloigner pour trouver un endroit où manger. Des gars nous suivaient pour nous vendre des babioles. Un type m'a montré un dragon en pierre rouge qu'il me proposait à 100 yuans (12 euros). Malgré mes refus, il insistait, baissant le prix à chaque fois. « 100 yuans ! Non ? Allez, 50 yuans ! Non ? 40, 40 yuans ! 30 yuans, allez ! 20 yuans ! » Puis après une pause, il revient : « 10 yuans ! ». Non, même pour 1,20 euro, je ne veux pas d'un dragon rouge, merci. Puis on voit une série de personnes lourdement handicapées qui font la manche : un type qui a une jambe retournée, un autre type torse-nu à qui il manque un bras, une femme sans jambes.
Cité interdite
Finalement, heureusement que je n'ai pas trouvé de consigne à la gare et que j'ai pu laisser ma valise à la Cité interdite, et qu'en plus j'ai pu la récupérer côté Nord, parce que mon hôtel se trouve à deux pas de là. J'y suis allé en compagnie d'Antoine pour déposer mes affaires et prendre une douche, puis nous sommes allés manger dans un boui-boui juste à côté. J'ai enfin de nouveau un peu d'appétit. Je me suis même offert un dessert : une brochette de fraises caramélisées. Très savoureux.
Un vendeur ambulant de fruits caramélisés
Après un café chez McDo pour Antoine, nous avons pris le métro puis l'autobus pour aller au 798 Art District, un quartier de galeries d'art qui ont pris possession d'une ancienne usine pétrochimique. Le site est intéressant, certaines galeries aussi, mais beaucoup étaient fermées parce que, encore une fois, c'est lundi, et que le lundi, comme partout, c'est relâche.
Au 798 Art District, à Pékin, un ancien complexe industriel reconverti en quartier d'art
Tous les deux un peu cassés, nous sommes chacun rentrés chez soi nous reposer avec la perspective éventuelle de sortir dans un bar avec d'autres compagnons du voyage en Corée du Nord. Il devait m'envoyer un courriel en arrivant à l'hôtel pour me tenir au courant, or lui n'avait pas reçu d'informations, donc chacun a passé la soirée chez soi. Et c'est pas plus mal, un peu de repos. J'ai passé l'essentiel de la soirée à parler de ma journée à mon ordinateur.
Une jeune Pékinoise branchée au 798 Art District
Je suis sorti vers 21h30 pour trouver quelque chose à manger. À cette heure-ci, dans la bouillonnante capitale chinoise, les gens sont déjà couchés, visiblement. Presque rien n'est ouvert. Il n'y a quasiment plus de circulation dans la rue. Il n'y a guère que quelques chaînes de restauration rapide, comme McDonald's, qui sont ouvertes. Sinon, pour ainsi dire rien. Quelques personnes éméchées marchent bras dessus bras dessous en titubant, une Européenne promène son chien, quelques personnes rentrent chez elles d'un pas pressé pendant que les derniers magasins tirent le rideau de fer. À 22 heures. Même à Divonne-les-Bains, 6 000 habitants, en France, il y a plus d'activité que ça à 22 heures. Je me suis offert une part de gâteau au chocolat au café de l'hôtel, dont je me suis délecté dans ma chambre.

jeudi 16 janvier 2014

Pendant ce temps, à Dandong

Dandong
1er décembre 2013
Hier soir je me suis endormi tout habillé sous la couette, l'ordinateur sur les genoux, frigorifié. J'ai dû faire un effort considérable pour me changer et retourner me coucher dans de meilleures conditions. J'avais remarqué la veille qu'il n'y avait pas d'eau froide et je comptais descendre à l'accueil pour le signaler mais je me suis endormi avant. Pour tirer la chasse d'eau, je me suis servi de deux gobelets que je remplissais alternativement d'eau chaude pour les verser dans une poubelle en plastique dont, une fois pleine, je jetais le contenu dans la cuvette des toilettes.
Le fleuve Yalou, marquant la frontière entre la RPDC et la RPC
Ce matin, l'eau froide n'était toujours pas revenue. J'ai profité du passage inopiné d'une femme de chambre venue me dire quelque chose en chinois pour lui montrer mon problème. Depuis l'affaire du Sofitel de New York, les femmes de chambres se méfient des Français pas habillés qui veulent leur montrer quelque chose dans la salle de bains mais je lui suis reconnaissant d'avoir eu le courage de venir voir l'état de mes toilettes et de ne pas avoir fait de remarques désobligeantes. Remarquez, elle en a peut-être fait, mais en chinois. Toujours est-il qu'un plombier en bleu de travail et casquette est venu presque aussitôt pour constater qu'en effet, l'eau froide ne coulait pas. Comme je n'avais pas toute la journée et que le démontage de la salle de bain d'à côté – oui car le problème semblait venir de la chambre contiguë – risquait de prendre encore plus longtemps, je suis descendu prendre le petit-déjeuner, du moins j'ai fait ce que j'ai pu, car je ne pouvais toujours rien avaler, me contentant de quelques verres de jus d'orange – chaud –, et je suis allé expliquer mon problème de tuyauterie (dans la salle de bains, pas l'autre, plus personnel) à la réception. Personne ne parlait l'anglais mais j'ai pu parler avec un type au téléphone qui a ensuite répété ma requête de pouvoir prendre une douche dans une autre chambre à la dame de la réception. Je pensais que celle-ci allait me donner la clé d'une autre chambre mais elle m'a renvoyé dans la mienne en me faisant comprendre avec force pouces en l'air que tout était réglé.

L'eau froide ne coulait toujours pas mais quelques secondes plus tard la femme de chambre décrite ci-avant frappait à ma porte et me montrait le chemin vers une chambre qui venait de se libérer et qui n'avait pas encore été nettoyée. Elle était dégueulasse mais au moins j'ai pu prendre ma douche pas trop brûlante pour affronter une fraîche journée à Dandong, avec à peine 8 minutes de retard pour le rendez vous à l'accueil avec mon guide.
Avertissement à la frontière sino-coréenne
On nous a installés, moi et mes valises, dans une voiture qui nous a emmenés le long du fleuve Yalou. De l'autre côté, on voyait quelques usines et surtout des champs situés en Corée du Nord. Nous avons fait un premier arrêt à la sortie de la ville pour voir ce qui reste des piliers du « pont des volontaires », construit par les Chinois pour acheminer des renforts à la Corée du Nord pendant la guerre de Corée. Nous nous sommes éloignés encore un peu plus de Dandong, toujours en longeant le fleuve, jusqu'à la portion la plus orientale de la grande Muraille de Chine. Pendant le trajet, le chauffeur était très intéressé de savoir que je venais de France, parce que sa nièce vivait en France et travaillait à la BNP. Il a même appelé sa sœur pour lui faire savoir la bonne nouvelle qu'il avait un Français dans sa voiture. Le guide m'a expliqué que le fait que je sois là, c'était comme si je rapprochais un peu sa nièce de sa famille.
Monument aux "volontaires" chinois engagés dans la guerre de Corée, devant ce qu'il reste du "pont des volontaires" menant en Corée du Nord
La rive coréenne vue depuis la Chine
À la muraille de Chine, nous avons commencé par aller voir un endroit où la Corée du Nord est à un jet de pierre de la Chine. Des soldats surveillent cette portion de la frontière même si, pour les Coréens qui veulent fuir, il faut d'abord traverser le fleuve et se rendre sur l'île, puis trouver un point de passage facile pour passer le petit bras du Yalou et enfin franchir deux rangées de barbelés. Sur l'île se trouve un village et des champs. Je me demande ce que doivent penser les gens qui vivent de l'autre côté de la rivière. Ils doivent bien voir qu'il y a un autre monde, là, tout près.
Vue sur la RPDC depuis la Muraille de Chine
Nous sommes ensuite montés sur la muraille. C'est une joie de se trouver sur un des monuments les plus célèbres au monde. Shan, mon guide, m'a expliqué certaines des caractéristiques de la muraille, sa raison d'être, ses atouts, etc. et nous l'avons arpentée sur quelques centaines de mètres, grimpant (avec difficulté) jusqu'à une tour par un passage très escarpé. De là haut, on avait une très belle vue – la journée était magnifique – sur le paysage de champs et de montagnes en Chine et en Corée. Sur un petit bras du fleuve presque asséché, de l'eau stagnante avait gelé, ce qui constituait un terrain de jeu idéal pour les enfants du village coréen.
La Muraille de Chine près de Dandong, à la frontière coréenne
Nous sommes revenus à Dandong pour visiter le musée de la guerre de Corée. Cette fois du point de vue chinois. Encore un peu patraque et de surcroît à la masse du fait de n'avoir rien mangé le matin, j'avais du mal à suivre les explications de mon guide. Ceci dit il m'avait semblé qu'il n'avait pas clairement dit qui était l'instigateur de la guerre. Je lui ai demandé quel était le point de vue de la Chine à ce sujet et il m'a répondu qu'on ne savait pas vraiment, précisant dans la foulée qu'on pense plutôt que c'est la Corée du Nord qui a commencé. Si les Chinois le disent... Le musée était pas mal fait, mais nous l'avons survolé et il n'était pas comparable avec le musée ultra-cool sur la guerre de Corée que nous avions vu à Pyongyang.
Pièces d'artillerie ayant servi pendant la guerre de Corée
Repas dans un restaurant au bord du fleuve. Je n'ai pas encore complètement retrouvé l'appétit mais j'ai pu manger un peu. Le guide avait commandé pour trois une soupe à l’œuf et à un autre truc gluant, pas vraiment ce que je veux en convalescence, une salade chaude avec des fruits de mer, très bonne, et un poulet entier découpé froid. Entier c'est-à-dire avec la tête et les pattes. Le poulet restant, on me l'a mis dans un sac en plastique pour le voyage en train. À l'occasion de ce repas, j'ai pu apprécier comment le Chinois consomme les pattes de poulet : il fourre chaque doigt dans sa bouche, suce ce qui se trouve autour de l'os (un truc essentiellement gélatineux) puis recrache la petite griffe. Un régal ! (apparemment).
Menu au restaurant
Après le repas, nous avons traversé la rue pour monter dans un bateau nous emmenant en promenade sur le fleuve. Ce n'était pas très intéressant. On voit la Corée d'un peu plus près, certes, mais pas tellement plus. On voit quelques silhouettes avec des vélos sur les chantiers navals ou sur les quais gris, on s'approche des bateaux nord-coréens qui stationnent au milieu de la rivière mais dont les Chinois apparemment ignorent la fonction. Selon un traité entre les deux pays, les cours d'eau marquant la frontière appartiennent aux deux pays. La frontière n'est pas délimitée au milieu du cours d'eau, si bien que les embarcations des deux pays peuvent circuler librement sur tout le fleuve et se mêler les uns aux autres. Pour mieux comparer les deux côtés – la Chine opulente et la Corée indigente – je suis monté sur le pont supérieur. Alors que je prenais une photo, j'ai senti qu'on me tirait la barbe doucement. Je me suis dit que mon guide ne se serait jamais permis une telle familiarité et quand j'ai détourné l’œil de mon viseur, j'ai vu un Chinois tout sourire qui regardait ma barbe – pas taillée depuis plus d'un mois et donc touffue et rousse – très amusé et curieux. Je voyais bien qu'il ne pensait pas à mal en tripotant mes expressions capillaires faciales mais je me suis dit que c'était pas un truc qui se faisait quand même. Du coup je me suis amusé à lui toucher sa joue glabre, ce qui l'a bien fait marrer : « hohoho, mei you, mei you » (ho ho ho, y'en a pas, y'en a pas). Plus tard, mon guide et lui ont échangé quelques mots et j'ai compris d'après les explications de Shan qu'ils pensaient que j'étais Russe et qu'ils venaient de la campagne (ils avaient deux enfants, ce qui n'est possible qu'à la campagne), deux informations qui ne sont pas liées entre elles mais qui expliquaient leur étonnement devant ma trogne hirsute.
La rive coréenne du fleuve Yalou, face à la ville chinoise de Dandong
Bateaux nord-coréens stationnant sur le fleuve Yalou face à Dandong
Entre le pont et le demi-pont
La visite guidée s'est terminée là, sur le quai. Shan m'a remis le ticket de train pour aller à Pékin et lui et le chauffeur m'ont ramené à l'hôtel. J'avais l'intention d'aller un peu sur Internet avant de ressortir me promener sur le pont cassé – une moitié de pont qui était autrefois un pont entier reliant les deux pays et, je crois, bombardé par les Américains – mais j'ai préféré faire une sieste dans le lobby de l'hôtel, pendant que des Chinois jouaient bruyamment sur leur téléphone, parlaient bruyamment à leur voisin à 20 cm d'eux ou ruminaient bruyamment.
À la gare de Dandong
Quand j'ai émergé de ma sieste, il faisait nuit et l'envie m'était passée de sortir me promener. J'ai patiemment attendu en écrivant mon blog, jusqu'à ce qu'il soit l'heure d'aller prendre le train. Comme dans un aéroport, il faut passer des contrôles de sécurité, montrer son billet et attendre dans une grande salle d'attente à la porte d'embarquement désignée. Le billet que j'avais me donnait droit à une place dans un compartiment semi-fermé. Contrairement à la Russie, où les wagons couchette sont soit en compartiments fermés pour quatre personnes, soit divisés par six lits ouverts, et contrairement au train que nous avons pris pour aller de Pyongyang à Dandong, qui avait aussi des couchettes ouvertes de six personnes, le wagon de ce train pour Pékin était divisé six lits par six, en compartiments qui ne fermaient pas. Dans l'ensemble ça allait. Je n'avais plus de batterie sur mon ordinateur pour pouvoir écrire dessus. Pas de prises à disposition. Pas de livre à lire. Pas vraiment faim, quoique j'ai mangé un peu du poulet d'à midi. Alors j'ai fait comme d'autres passagers, je me suis allongé sur ma couchette et j'ai essayé de dormir. À 20 heures à peu près.