samedi 2 août 2014

Pendant ce temps, à Pékin


Pékin
3 décembre 2013


Toujours un peu en convalescence, avec une toux persistante et une fatigue générale, je me suis permis de me la couler un peu douce ce matin, traînant au lit et n'émergeant de ma chambre qu'un peu avant 13 heures. Néanmoins, le reste de ma journée touristique a été bien rempli.
 
Je me suis dirigé vers la Cité interdite en passant par les petits hutongs pour aller dans un parc où on peut monter sur une colline pour voir la ville et notamment la Cité interdite de haut. En avançant vers mon but, je me suis aperçu que la distance depuis l'entrée nord de la Cité interdite est inversement proportionnelle au nombre de chauffeurs de rickshaws proposant de m'emmener ici ou là. C'était le milieu de la journée, le soleil était encore assez haut au sud, or la colline est située au nord de la Cité interdite, ce qui signifie que toutes les photos auraient été à contre-jour. Pas con, le mec.

Alors j'ai préféré remettre à plus tard mon ascension de colline et j'ai poursuivi quelques centaines de mètres plus loin pour profiter du parc Beihai, et notamment de l'île sur laquelle se trouve un joli petit temple bouddhiste. Le cadre est bucolique. À peine les portes du parc franchies, on se trouve coupé de l'agitation de la ville. L'île se trouve sur un grand lac qui, malgré la douceur de la journée, était gelé. De la musique orientale provenait de l'île : des personnes d'âge mûr dansaient en costumes. Il ne s'agissait ni d'un bal, ni d'une démonstration de danse d'une province particulière de la Chine mais, je pense, d'une activité sociale entre personnes du même âge, qui par ailleurs leur procurait une forme d'exercice physique agréable.

Je me suis promené sur l'île en suivant le chemin pour arriver au sommet d'une colline où se dresse une tour blanche, qui a une vocation religieuse, mais je ne sais plus laquelle. Avant d'y parvenir, j'ai traversé des temples, sonné trois fois une cloche pour me porter chance pendant un an [pas d'amélioration notable au moment de la publication du présent billet], observé diverses divinités religieuses, dont certaines en train de copuler (du coup je me demande si j'étais bien dans un lieu de culte bouddhiste), puis j'ai grimpé une bonne cinquantaine de marches bien raides. D'en haut, c'est pas mal mais il y a beaucoup de végétation qui obstrue la vue. Je suis descendu de mon promontoire en passant faire un tour dans une grotte pas du tout intéressante mais pour laquelle, comme tout le reste, il faut débourser quelques yuans.

Sorti du parc, je me suis retrouvé dans une petite ruelle marchande très animée où les gens du quartier venaient faire leur marché. C'était la première fois, je crois, que je voyais un petit marché de ce style en Chine. Un lieu de commerce à taille humaine. Quelques mètres plus loin se trouvait l'entrée du parc Jingshan, où, là aussi, des gens pratiquaient des exercices physiques, notamment du taï-chi, ou simplement faisaient des pas rapides en écartant gracieusement les bras. Un type faisait des enchaînements avec les bras qui semblaient provenir d'un art martial, tandis que d'autres simplement s'exerçaient au saxophone ou à d'autres instruments. Moi aussi j'ai fait mon petit exercice physique du moment en montant au sommet de la colline pour aller admirer la vue sur la Cité interdite. Le soleil était encore haut et éblouissait quiconque souhaitait jeter un œil à la merveilleuse Cité interdite, dont la majesté se révèle encore mieux avec un peu de recul. On voit que c'est un immense village carré aux maisons bien rangées et serrées, uniformes, riches, traversées par une ligne de temples colorés et de place grandioses. Le Bouddha du parc Jingshan a une bien belle vue du haut de son promontoire.

Envisageant d'aller au temple des lamas (les religieux, pas les animaux) en sortant du parc, je me suis dirigé vers le nord mais après consultation du plan, je me suis rendu compte que c'était un peu loin à pied. Et puis, des temples, j'en avais déjà vu plein. Je me suis dirigé vers une station de métro en traversant un quartier populaire où j'ai observé des personnes âgées s'attrouper autour de jeux d'échecs chinois alors que des pongistes par dizaines jouaient juste à côté.

Pour changer des temples, j'avais eu la curieuse idée d'aller voir un grand marché aux puces plus au sud-est, ce qui m'a permis de faire une nouvelle expérience sociale. Pas le marché, non : prendre le métro de Pékin à l'heure de pointe. J'avais l'impression que le milliard et des brouettes de Chinois étaient tous dans les sous-sols de leur capitale, quand j'ai fait mon petit trajet. Serrés comme des raviolis vapeur dans les rames, pris dans le courant des tunnels de correspondance, duquel il n'est pas permis de sortir. Au retour, coincé au fond de la rame, j'ai cru que je ne pourrais pas sortir à mon arrêt, car personne ne descendait du train. J'ai dû jouer des coudes pour pouvoir respirer à l'air libre recyclé de la station de métro.

Le marché a été une petite déception. Je pensais qu'il me resterait une heure avant la fermeture pour pouvoir chiner (et non pas chinoiser) un peu. Pas que je voulais rapporter un fauteuil Louis XV ou un chien de faïence, même pas un cendrier Ricard, mais je voulais voir ça par curiosité. Et si par hasard je voyais un bel atlas, qui sait ? Mais il faisait déjà nuit, les lumières étaient rares et on rangeait les étals. J'ai fait le tour des travées pour voir s'il y avait autre chose que les vendeurs de pierres puis je suis tombé sur une grande esplanade qui devait être le coin vide-grenier. De nuit, à l'heure ou tout le monde remballait et où on commençait à faire le ménage, la place ressemblait à un campement informel où l'on ne distinguait plus vraiment les babioles à vendre des détritus jonchant le sol.

Ma prochaine étape était le « marché de nuit », célèbre pour ses brochettes originales. En sortant du métro, j'ai suivi la foule et je me suis retrouvé dans une grande avenue commerçante piétonne tout illuminée. Quel heureux répit de pouvoir marcher, même si la rue était bourrée de monde, sur un espace large sans voitures, ni vélos, ni vélomoteurs pouvant arriver de n'importe quelle direction à n'importe quel moment. Les vélomoteurs sont d'autant plus dangereux que beaucoup sont électriques et silencieux et qu'ils arrivent vite et souvent sans phares la nuit. Rien de tout cela ici. Je suis rentré dans une grande librairie où je me suis acheté un petit atlas du monde en chinois (à défaut d'un grand) puis j'ai remonté la rue jusqu'au marché. Une ou deux jeunes femmes sont venues m'aborder, magnétisées par mon charme et mon charisme, mais aussi voyant en moi un pigeon à plumer en m'emmenant dans un bar et en me laissant la note. Non, désolé, pas ce soir.

Je suis tombé sur la rangée d'étals de nourriture du « marché de nuit » un peu plus loin. Entre les classiques brochettes de porc, les kebabs d'agneau et les canards laqués, les commerçants taquins proposent aux touristes réprimant un certain dégoût des brochettes de serpent, de gros vers ou de scorpion. Le serpent, pas de problème ; les gros vers, je prends pour excuse que j'en ai déjà mangé en Corée ; le scorpion, bien frit, je pourrais le mettre dans ma bouche. Mais il y a un truc qu'on ne mettra pas près de mon visage, même frit, ce sont les grosses araignées. Pas question. Je suis parti en comptant bien revenir avant mon départ pour l'Europe, si possible avec un témoin (je pense à Antoine). En attendant, j'ai pris une brochette de fruits caramélisés, vraiment pas aussi bonne que celle de la veille.

Objectif suivant : me faire couper les tifs. Dans les hutongs, on voit souvent des rouleaux verticaux noir et blanc ou rouge et blanc qui tournent devant un magasin. Ils annoncent la présence d'un coiffeur. Je me suis dirigé vers mon hôtel et je suis rentré chez le premier coiffeur qui semblaient s'occuper des hommes. J'ai demandé au type s'il pouvait me prendre pour les cheveux et la barbe mais il a un peu paniqué et m'a gesticulé que la barbe, c'était pas possible. Dans ce pays où les gens sont globalement imberbes, je comprends qu'une belle barbe flamboyante comme la mienne puisse intimider mais y donner un coup de tondeuse, ça ne demande pas d'avoir un doctorat en capilliculture, quand même ! Je pense cependant qu'il y a eu un petit malentendu avec le jeune homme, d'autant plus probable que nous communiquions essentiellement en gestes. Il a dû croire que je voulais être rasé. Nenni ! Je l'ai compris quand je suis rentré chez le second coiffeur, qui a tout d'abord refusé, mais j'ai insisté en me rendant compte que ma formulation gestuelle n'était peut-être pas assez claire. Il a sorti la tondeuse, j'ai opiné et j'ai eu droit à un shampoing, une coupe aux ciseaux et une taille de la barbe pour 30 yuans (3,60 euros), avec en prime au moment de payer, le show d'une énorme sauterelle que les gars qui traînaient au salon de coiffure se trimballaient et avec laquelle ils jouaient. Un monstre. María aurait adoré.

Je suis rentré à l'hôtel avec au moins huit kilos de poils en moins, j'ai acheté un peu d'eau et des biscuits pour ma rando à la grande muraille de demain, puis je suis allé manger. Dans un hutong, j'ai vu un restaurant de spécialités du Yunnan qui m'avait l'air agréable et propre, où j'ai mangé un très bon porc sauté à la citronnelle et au piment. Un peu épicé, du coup, même pour moi. J'ai fini le repas par un cheesecake du café de l'hôtel, puis je me suis mis au travail à l'ordinateur. Pfiou. Ça se termine enfin ! Pas de publication ce soir sur Internet, il est déjà trop tard.

vendredi 17 janvier 2014

Pendant ce temps, à la Cité interdite

Pékin
2 décembre 2013

 Donc a priori une longue nuit de sommeil, bercé par le roulis du train. La couchette était étroite et dure et suivant que le chauffage était en route ou non, il faisait tantôt trop chaud, tantôt trop froid. Je me suis réveillé à peu près vers 7 heures, quand tout le monde a commencé à s'agiter pour descendre à Tianjin.
Le soleil se lève sur la ligne Dandong-Pékin
Le train est arrivé avec un peu de retard, je pense, à Pékin. Je devais trouver une consigne pour laisser ma valise et partir sur-le-champ à la Cité interdite, où j'avais rendez-vous avec Antoine à 9h30. Le train étant arrivé seulement un peu avant 9 heures, je n'avais pas le temps de m'asseoir prendre un petit-déjeuner et me brosser les dents, d'autant plus qu'une fois le train arrivé, on est entraîné vers la sortie de la gare et on ne peut plus y rentrer, à moins d'avoir un billet pour un train en partance.

Je suis arrivé à l'heure au rendez-vous mais il y avait de longues files d'attente pour la sécurité. Je me demandais comment j'allais retrouver Antoine, mais il ne devait pas être loin. Le Premier ministre britannique était, semble-t-il en visite officielle à Pékin, d'où les drapeaux britanniques et les contrôles de sécurité. Il se trouvait qu'Antoine était dans la file à côté et qu'il me faisait de grands signes pour que je le rejoigne. J'ai passé les contrôles de sécurité avec ma grosse valise sans souci aucun, on ne l'a même pas vérifiée. Nous avons été alpagués par des dizaines de soi-disant guides qui nous proposaient avec insistance de nous faire visiter la Cité interdite. Nous les avons tous refusés. J'ai trouvé une consigne pour laisser ma valise où on m'a expliqué avec les plus grandes difficultés que je pouvais la récupérer à la porte nord de la Cité interdite, ce qui me permettrait de visiter le palais sans avoir à revenir sur mes pas. Super pratique. C'est aussi là qu'on a appris que la Cité interdite fermait aujourd'hui à midi, comme tous les lundis, ce qui ne nous laissait qu'une heure et demie pour en faire le tour.
La Cité interdite, à Pékin
Finalement, une heure et demie, c'est suffisant. On aurait peut-être pu visiter certaines sections pour lesquelles il fallait payer un supplément ou des recoins cachés, mais nous avons vu l'ensemble. Cela m'a rappelé le palais Gyeongbokgung à Séoul : plusieurs édifices luxueux dans une enceinte fermée, mais la Cité interdite dégage davantage de grandeur, selon moi. Peut-être ce sont les proportions qui donnent à l'ensemble son intérêt esthétique. Nous avons eu en outre la chance d'être gâtés par un temps magnifique et une belle lumière matinale. J'avoue que je n'ai pas grand chose d'autre à dire sur la Cité interdite. Une belle visite quand même.
Cité interdite
À la fin de la visite, à la porte Nord, j'ai effectivement récupéré ma valise. Lonely Planet nous avait prévenus mais à la sortie de la Cité interdite, des chauffeurs de rickshaws par dizaines nous proposaient leurs services pour une somme modique. Ils s'adressent à tout le monde. Mais quand on traîne une grosse valise et que, de surcroît, on déplie une carte de Pékin, on a l'impression qu'ils sont des milliers à se jeter sur nous. On a beau s'éloigner, il en vient toujours un autre qui a l'air de penser qu'il est le premier. En fait il a forcément vu qu'on a dit non aux 25 premiers et que, donc, il n'y a pas de raison pour qu'on lui dise oui à lui. Nous nous voulions seulement nous éloigner pour trouver un endroit où manger. Des gars nous suivaient pour nous vendre des babioles. Un type m'a montré un dragon en pierre rouge qu'il me proposait à 100 yuans (12 euros). Malgré mes refus, il insistait, baissant le prix à chaque fois. « 100 yuans ! Non ? Allez, 50 yuans ! Non ? 40, 40 yuans ! 30 yuans, allez ! 20 yuans ! » Puis après une pause, il revient : « 10 yuans ! ». Non, même pour 1,20 euro, je ne veux pas d'un dragon rouge, merci. Puis on voit une série de personnes lourdement handicapées qui font la manche : un type qui a une jambe retournée, un autre type torse-nu à qui il manque un bras, une femme sans jambes.
Cité interdite
Finalement, heureusement que je n'ai pas trouvé de consigne à la gare et que j'ai pu laisser ma valise à la Cité interdite, et qu'en plus j'ai pu la récupérer côté Nord, parce que mon hôtel se trouve à deux pas de là. J'y suis allé en compagnie d'Antoine pour déposer mes affaires et prendre une douche, puis nous sommes allés manger dans un boui-boui juste à côté. J'ai enfin de nouveau un peu d'appétit. Je me suis même offert un dessert : une brochette de fraises caramélisées. Très savoureux.
Un vendeur ambulant de fruits caramélisés
Après un café chez McDo pour Antoine, nous avons pris le métro puis l'autobus pour aller au 798 Art District, un quartier de galeries d'art qui ont pris possession d'une ancienne usine pétrochimique. Le site est intéressant, certaines galeries aussi, mais beaucoup étaient fermées parce que, encore une fois, c'est lundi, et que le lundi, comme partout, c'est relâche.
Au 798 Art District, à Pékin, un ancien complexe industriel reconverti en quartier d'art
Tous les deux un peu cassés, nous sommes chacun rentrés chez soi nous reposer avec la perspective éventuelle de sortir dans un bar avec d'autres compagnons du voyage en Corée du Nord. Il devait m'envoyer un courriel en arrivant à l'hôtel pour me tenir au courant, or lui n'avait pas reçu d'informations, donc chacun a passé la soirée chez soi. Et c'est pas plus mal, un peu de repos. J'ai passé l'essentiel de la soirée à parler de ma journée à mon ordinateur.
Une jeune Pékinoise branchée au 798 Art District
Je suis sorti vers 21h30 pour trouver quelque chose à manger. À cette heure-ci, dans la bouillonnante capitale chinoise, les gens sont déjà couchés, visiblement. Presque rien n'est ouvert. Il n'y a quasiment plus de circulation dans la rue. Il n'y a guère que quelques chaînes de restauration rapide, comme McDonald's, qui sont ouvertes. Sinon, pour ainsi dire rien. Quelques personnes éméchées marchent bras dessus bras dessous en titubant, une Européenne promène son chien, quelques personnes rentrent chez elles d'un pas pressé pendant que les derniers magasins tirent le rideau de fer. À 22 heures. Même à Divonne-les-Bains, 6 000 habitants, en France, il y a plus d'activité que ça à 22 heures. Je me suis offert une part de gâteau au chocolat au café de l'hôtel, dont je me suis délecté dans ma chambre.

jeudi 16 janvier 2014

Pendant ce temps, à Dandong

Dandong
1er décembre 2013
Hier soir je me suis endormi tout habillé sous la couette, l'ordinateur sur les genoux, frigorifié. J'ai dû faire un effort considérable pour me changer et retourner me coucher dans de meilleures conditions. J'avais remarqué la veille qu'il n'y avait pas d'eau froide et je comptais descendre à l'accueil pour le signaler mais je me suis endormi avant. Pour tirer la chasse d'eau, je me suis servi de deux gobelets que je remplissais alternativement d'eau chaude pour les verser dans une poubelle en plastique dont, une fois pleine, je jetais le contenu dans la cuvette des toilettes.
Le fleuve Yalou, marquant la frontière entre la RPDC et la RPC
Ce matin, l'eau froide n'était toujours pas revenue. J'ai profité du passage inopiné d'une femme de chambre venue me dire quelque chose en chinois pour lui montrer mon problème. Depuis l'affaire du Sofitel de New York, les femmes de chambres se méfient des Français pas habillés qui veulent leur montrer quelque chose dans la salle de bains mais je lui suis reconnaissant d'avoir eu le courage de venir voir l'état de mes toilettes et de ne pas avoir fait de remarques désobligeantes. Remarquez, elle en a peut-être fait, mais en chinois. Toujours est-il qu'un plombier en bleu de travail et casquette est venu presque aussitôt pour constater qu'en effet, l'eau froide ne coulait pas. Comme je n'avais pas toute la journée et que le démontage de la salle de bain d'à côté – oui car le problème semblait venir de la chambre contiguë – risquait de prendre encore plus longtemps, je suis descendu prendre le petit-déjeuner, du moins j'ai fait ce que j'ai pu, car je ne pouvais toujours rien avaler, me contentant de quelques verres de jus d'orange – chaud –, et je suis allé expliquer mon problème de tuyauterie (dans la salle de bains, pas l'autre, plus personnel) à la réception. Personne ne parlait l'anglais mais j'ai pu parler avec un type au téléphone qui a ensuite répété ma requête de pouvoir prendre une douche dans une autre chambre à la dame de la réception. Je pensais que celle-ci allait me donner la clé d'une autre chambre mais elle m'a renvoyé dans la mienne en me faisant comprendre avec force pouces en l'air que tout était réglé.

L'eau froide ne coulait toujours pas mais quelques secondes plus tard la femme de chambre décrite ci-avant frappait à ma porte et me montrait le chemin vers une chambre qui venait de se libérer et qui n'avait pas encore été nettoyée. Elle était dégueulasse mais au moins j'ai pu prendre ma douche pas trop brûlante pour affronter une fraîche journée à Dandong, avec à peine 8 minutes de retard pour le rendez vous à l'accueil avec mon guide.
Avertissement à la frontière sino-coréenne
On nous a installés, moi et mes valises, dans une voiture qui nous a emmenés le long du fleuve Yalou. De l'autre côté, on voyait quelques usines et surtout des champs situés en Corée du Nord. Nous avons fait un premier arrêt à la sortie de la ville pour voir ce qui reste des piliers du « pont des volontaires », construit par les Chinois pour acheminer des renforts à la Corée du Nord pendant la guerre de Corée. Nous nous sommes éloignés encore un peu plus de Dandong, toujours en longeant le fleuve, jusqu'à la portion la plus orientale de la grande Muraille de Chine. Pendant le trajet, le chauffeur était très intéressé de savoir que je venais de France, parce que sa nièce vivait en France et travaillait à la BNP. Il a même appelé sa sœur pour lui faire savoir la bonne nouvelle qu'il avait un Français dans sa voiture. Le guide m'a expliqué que le fait que je sois là, c'était comme si je rapprochais un peu sa nièce de sa famille.
Monument aux "volontaires" chinois engagés dans la guerre de Corée, devant ce qu'il reste du "pont des volontaires" menant en Corée du Nord
La rive coréenne vue depuis la Chine
À la muraille de Chine, nous avons commencé par aller voir un endroit où la Corée du Nord est à un jet de pierre de la Chine. Des soldats surveillent cette portion de la frontière même si, pour les Coréens qui veulent fuir, il faut d'abord traverser le fleuve et se rendre sur l'île, puis trouver un point de passage facile pour passer le petit bras du Yalou et enfin franchir deux rangées de barbelés. Sur l'île se trouve un village et des champs. Je me demande ce que doivent penser les gens qui vivent de l'autre côté de la rivière. Ils doivent bien voir qu'il y a un autre monde, là, tout près.
Vue sur la RPDC depuis la Muraille de Chine
Nous sommes ensuite montés sur la muraille. C'est une joie de se trouver sur un des monuments les plus célèbres au monde. Shan, mon guide, m'a expliqué certaines des caractéristiques de la muraille, sa raison d'être, ses atouts, etc. et nous l'avons arpentée sur quelques centaines de mètres, grimpant (avec difficulté) jusqu'à une tour par un passage très escarpé. De là haut, on avait une très belle vue – la journée était magnifique – sur le paysage de champs et de montagnes en Chine et en Corée. Sur un petit bras du fleuve presque asséché, de l'eau stagnante avait gelé, ce qui constituait un terrain de jeu idéal pour les enfants du village coréen.
La Muraille de Chine près de Dandong, à la frontière coréenne
Nous sommes revenus à Dandong pour visiter le musée de la guerre de Corée. Cette fois du point de vue chinois. Encore un peu patraque et de surcroît à la masse du fait de n'avoir rien mangé le matin, j'avais du mal à suivre les explications de mon guide. Ceci dit il m'avait semblé qu'il n'avait pas clairement dit qui était l'instigateur de la guerre. Je lui ai demandé quel était le point de vue de la Chine à ce sujet et il m'a répondu qu'on ne savait pas vraiment, précisant dans la foulée qu'on pense plutôt que c'est la Corée du Nord qui a commencé. Si les Chinois le disent... Le musée était pas mal fait, mais nous l'avons survolé et il n'était pas comparable avec le musée ultra-cool sur la guerre de Corée que nous avions vu à Pyongyang.
Pièces d'artillerie ayant servi pendant la guerre de Corée
Repas dans un restaurant au bord du fleuve. Je n'ai pas encore complètement retrouvé l'appétit mais j'ai pu manger un peu. Le guide avait commandé pour trois une soupe à l’œuf et à un autre truc gluant, pas vraiment ce que je veux en convalescence, une salade chaude avec des fruits de mer, très bonne, et un poulet entier découpé froid. Entier c'est-à-dire avec la tête et les pattes. Le poulet restant, on me l'a mis dans un sac en plastique pour le voyage en train. À l'occasion de ce repas, j'ai pu apprécier comment le Chinois consomme les pattes de poulet : il fourre chaque doigt dans sa bouche, suce ce qui se trouve autour de l'os (un truc essentiellement gélatineux) puis recrache la petite griffe. Un régal ! (apparemment).
Menu au restaurant
Après le repas, nous avons traversé la rue pour monter dans un bateau nous emmenant en promenade sur le fleuve. Ce n'était pas très intéressant. On voit la Corée d'un peu plus près, certes, mais pas tellement plus. On voit quelques silhouettes avec des vélos sur les chantiers navals ou sur les quais gris, on s'approche des bateaux nord-coréens qui stationnent au milieu de la rivière mais dont les Chinois apparemment ignorent la fonction. Selon un traité entre les deux pays, les cours d'eau marquant la frontière appartiennent aux deux pays. La frontière n'est pas délimitée au milieu du cours d'eau, si bien que les embarcations des deux pays peuvent circuler librement sur tout le fleuve et se mêler les uns aux autres. Pour mieux comparer les deux côtés – la Chine opulente et la Corée indigente – je suis monté sur le pont supérieur. Alors que je prenais une photo, j'ai senti qu'on me tirait la barbe doucement. Je me suis dit que mon guide ne se serait jamais permis une telle familiarité et quand j'ai détourné l’œil de mon viseur, j'ai vu un Chinois tout sourire qui regardait ma barbe – pas taillée depuis plus d'un mois et donc touffue et rousse – très amusé et curieux. Je voyais bien qu'il ne pensait pas à mal en tripotant mes expressions capillaires faciales mais je me suis dit que c'était pas un truc qui se faisait quand même. Du coup je me suis amusé à lui toucher sa joue glabre, ce qui l'a bien fait marrer : « hohoho, mei you, mei you » (ho ho ho, y'en a pas, y'en a pas). Plus tard, mon guide et lui ont échangé quelques mots et j'ai compris d'après les explications de Shan qu'ils pensaient que j'étais Russe et qu'ils venaient de la campagne (ils avaient deux enfants, ce qui n'est possible qu'à la campagne), deux informations qui ne sont pas liées entre elles mais qui expliquaient leur étonnement devant ma trogne hirsute.
La rive coréenne du fleuve Yalou, face à la ville chinoise de Dandong
Bateaux nord-coréens stationnant sur le fleuve Yalou face à Dandong
Entre le pont et le demi-pont
La visite guidée s'est terminée là, sur le quai. Shan m'a remis le ticket de train pour aller à Pékin et lui et le chauffeur m'ont ramené à l'hôtel. J'avais l'intention d'aller un peu sur Internet avant de ressortir me promener sur le pont cassé – une moitié de pont qui était autrefois un pont entier reliant les deux pays et, je crois, bombardé par les Américains – mais j'ai préféré faire une sieste dans le lobby de l'hôtel, pendant que des Chinois jouaient bruyamment sur leur téléphone, parlaient bruyamment à leur voisin à 20 cm d'eux ou ruminaient bruyamment.
À la gare de Dandong
Quand j'ai émergé de ma sieste, il faisait nuit et l'envie m'était passée de sortir me promener. J'ai patiemment attendu en écrivant mon blog, jusqu'à ce qu'il soit l'heure d'aller prendre le train. Comme dans un aéroport, il faut passer des contrôles de sécurité, montrer son billet et attendre dans une grande salle d'attente à la porte d'embarquement désignée. Le billet que j'avais me donnait droit à une place dans un compartiment semi-fermé. Contrairement à la Russie, où les wagons couchette sont soit en compartiments fermés pour quatre personnes, soit divisés par six lits ouverts, et contrairement au train que nous avons pris pour aller de Pyongyang à Dandong, qui avait aussi des couchettes ouvertes de six personnes, le wagon de ce train pour Pékin était divisé six lits par six, en compartiments qui ne fermaient pas. Dans l'ensemble ça allait. Je n'avais plus de batterie sur mon ordinateur pour pouvoir écrire dessus. Pas de prises à disposition. Pas de livre à lire. Pas vraiment faim, quoique j'ai mangé un peu du poulet d'à midi. Alors j'ai fait comme d'autres passagers, je me suis allongé sur ma couchette et j'ai essayé de dormir. À 20 heures à peu près.

vendredi 20 décembre 2013

Pendant ce temps, sur le fleuve Yalou

Pyongyang – Dandong
30 novembre 2013

Enfin une nuit où j'ai eu le temps de dormir. J'ai quand même passé une mauvaise nuit, agité, l'estomac sens dessus-dessous, et la tête qui tournait quand je me levais pour aller aux toilettes. Je n'ai pas vomi mais je suis bien malade.
Départ du train pour la Chine à la gare de Pyongyang
Les guides des deux groupes nous ont accompagnés à la gare et nous ont fait leurs adieux depuis le quai. Dans le train nous accompagnait une équipe de basketball féminine chinoise et casse-bonbons qui bousculait tout le monde, pressée de circuler dans le couloir en nous enjoignant d'avancer. Personne ne pouvait avancer. On attendait tous que les gens s'installent. Puis notre train, un train chinois, s'est ébranlé et nous avons traversé une campagne nord-coréenne désormais familière, avec des champs jaunes carrés et gelés sur lesquels des enfants s'amusaient à glisser accroupis en se propulsant avec des bâtons. Beaucoup de gens au bord des voies, à pied, à vélo. Des paysans travaillaient aux champs.
Paysage nord-coréen sans grand intérêt
Pour notre groupe de douze curieux de la Corée du Nord qui étions dans le train, c'était l'occasion de rigoler, de parler de nos camarades de voyage, d'échanger nos impressions sur ce voyage extraordinaire qui nous a laissé à tous une forte impression. À midi nous sommes allés prendre un repas pas terrible dans le wagon restaurant qui était, lui, coréen et froid, puis j'ai fait une sieste quasiment jusqu'à l'arrivée à la ville frontière de Sinuiju. Le train s'est arrêté près de deux heures pour la déclaration en douane, le contrôle des passeports, la vérification des bagages. Les douaniers sont montés pour faire les vérifications administratives, fouiller superficiellement le matériel informatique, les photos et/ou les bagages et s'assurer que nous repartons avec notre téléphone portable. Un Allemand qui voyageait avec nous s'est vu confisquer ses anciens wons nord-coréens qu'il avait achetés au magasin de souvenirs, Antoine a dû allumer son ordinateur, ce qui m'a donné de petites sueurs froides dans la mesure où quand on ouvre mon ordinateur, on tombe directement sur ce blog. Je n'y dis pas grand chose de très subversif mais comme le douanier ne comprend pas le français mais qu'il peut certainement lire Pyongyang et d'autres noms de lieux nord-coréens, il peut en déduire que j'écris quelque chose sur son pays, ce qui peut me faire passer pour un journaliste, or les journalistes, ils n'aiment pas ça en Corée du Nord. Le douanier n'a pas ouvert l'ordinateur mais il a regardé les photos. Au lieu de passer les photos en revenant en arrière, il les a passées en revue rapidement en avant, c'est-à-dire à partir de mon arrivée en Corée du Sud. Sans préméditation, j'ai donné un aperçu de la riche Corée du Sud à ce brave soldat dévoué de la Corée du Nord. Il a fouillé sommairement ma valise et m'a laissé tranquille. Le train est resté statique pendant longtemps. Quand le convoi est reparti, nous avions compris que nous étions tous dignes de ressortir de la Corée du Nord. Adieu les agentes de la circulation, l'architecture communiste, les toilettes nauséabondes, le lavage de cerveau, les courbettes kimiesques, les épuisantes journées de visite, le kimchi et une ambiance du tonnerre.
Au wagon restaurant du Pyongyang-Dandong
Nous avons enjambé le pont chevauchant le fleuve Yalu, qui marque la frontière entre la Chine et la RPDC, ce qui nous a permis d'apercevoir le contraste flagrant entre la Sinuiju nord-coréenne quasiment plongée dans la pénombre et la Dandong chinoise lui faisant face, elle crachant ses lumières du haut de ses grandes tours à la face de la Corée du Nord.
Le Pyongyang-Dandong, avec une basketballeuse chinoise et agaçante à l'intérieur
Nous avons passé l'inévitable contrôle douanier chinois, beaucoup plus rapide, puis nous sommes sortis du train pour rentrer dans une gare bien plus moderne que ce que nous avons vu pendant cinq jours en Corée du Nord. J'ai dit adieu au reste du groupe qui remontait dans un train pour Pékin, tandis que moi je suis parti avec mon guide chinois à l'hôtel, situé fort pratiquement juste à la sortie de la gare. Je n'ai eu que le temps de poser mes affaires avant de redescendre dans le lobby me faire emmener manger par le guide. Il était 18h30 et je n'avais pas faim. Je n'aurais pas eu faim non plus à 20h00 donc autant le faire le plus tôt possible et être libéré tôt. Le guide, Shan, est très sympa et m'a parlé de son pays, de la Corée du Nord et de l'économie chinoise. Dans le train, je m'étais dit que ce que nous avons vu de la Corée du Nord devait être assez similaire à ce que devait être la Chine il y a 30 ans. C'est ce que m'a confirmé Shan, qui a vécu l'époque des rations et de la période pré-Deng Xiaoping. Il m'a emmené dans un restaurant mal noté pour l'hygiène où j'ai mangé des nouilles et une soupe aux champignons, qui était très bonne mais extrêmement volumineuse. Shan, qui a l'habitude de travailler avec des Occidentaux, semblait faire attention à ne pas trop faire de slurps en aspirant ses nouilles ou sa soupe. C'était très appréciable. D'un côté j'apprécie la vie et la liberté relative qu'on a à être en Chine, de l'autre, les bruits de bouche et les crachats par terre ne m'ont pas du tout manqué quand j'étais en Corée du Nord.
D'un culte de la personnalité à l'autre : statue de Mao devant la gare de Dandong (Chine)
Je n'ai pas réussi à me connecter à Facebook avec mon téléphone et j'ai, après trois heures de rédaction dans une chambre chauffée néanmoins froide et sans eau chaude, encore malade, la flemme de descendre au lobby pour essayer de me connecter.

mardi 17 décembre 2013

Pendant ce temps, à Pyongyang

Nampo – Pyongyang

29 novembre 2013


Antoine, le Québécois avec qui je partage ma chambre, n'est pas rentré de la nuit. Je me suis dit que la soirée s'est soit très bien terminée pour lui, soit très mal terminée. Peut-être étais-je si profondément endormi que je ne l'ai pas entendu rentrer mais non, au réveil, j'ai trouvé le lit voisin fait, inutilisé. Je me suis réveillé tôt pour faire couler l'eau au moins vingt minutes afin qu'elle soit chaude. Ce n'est qu'après la douche, alors que je me brossais les dents en regardant pensivement à travers la fenêtre, en me demandant si j'aurais l'occasion de prendre des photos intéressantes dans le coin, que je vois Antoine qui me fait de grands signes depuis en bas. Il m'a expliqué que la porte du bas de notre maison, où se trouvent trois appartements, était fermée à clef et qu'il n'avait pas pu rentrer, car il n'y avait qu'une seule clef pour les trois appartements. Mon voisin qui descendait à ce moment-là s'est d'ailleurs retrouvé bloqué car la porte ne s'ouvrait pas non plus de l'intérieur. Il a dû récupérer la clef chez notre autre voisine, détentrice de l'unique clé du pavillon, et Antoine a pu rentrer et se préparer. Il a dormi par terre dans la chambre de camarades australiens qui faisaient encore la fête quand il est parti. Heureusement que je n'ai pas entendu plus tôt l'histoire d'un autre camarade qui a raconté au petit déjeuner qu'il avait entendu des coups de feu pendant la nuit.
Statue du cher leader prodiguant ses conseils éclairés sur l'agriculture à la brave population paysanne
De Nampo, on n'aura vu que le grand barrage et les baraques de notre sanatorium. Mais au moins, depuis notre autobus, on aura eu l'impression de visiter une région isolée de la Corée du Nord, en roulant sur une toute petite route pavée sinueuse et extrêmement cahoteuse, traversant de grands espaces vallonnés de champs jaunes et des forêts, en passant à bonne distance de villages de maisons individuelles identiques bien rangées aux toits recourbés.
Campagne et village de Corée du Nord
Notre premier arrêt : une ferme collective où nous avons commencé par nous incliner devant une statue de Kim Il-sung, exercice désormais banal et quasi mécanique. Nos accompagnateurs occidentaux ont déposé en notre nom des fleurs devant la statue. Ensuite, nous avons visité l'école de la ferme, où les petits enfants sont placés en pension pendant dix jours pendant que leurs parents s'échinent aux champs. Dans la première classe, une vingtaine d'enfants, âgés de six ans mais semblant beaucoup plus jeunes, s'entraînaient à écrire. Jusque là, le plus gênant, c'est qu'on rentrait dans la salle regarder des petits enfants nord-coréens apprendre à écrire comme on va au zoo voir les pandas copuler. Ils devaient se donner en spectacle et nos guides parlaient à voix haute dans la classe sans aucun ménagement pour la concentration des enfants. Dans la seconde classe, des enfants pas tellement plus grands apprenaient la vie et l’œuvre de Kim Il-sung et de Kim Jong-il sous la tendre férule d'une maîtresse émue qui faisait réciter aux enfants les hauts-faits du grand leader. Ça devenait un peu plus folklo. 
"Kim Jong-il il est plus fort que Chuck Norris"
En montant dans les étages, nous avons pu constater que les enfants nord-coréens étudiaient dans des conditions pas très différentes des nôtres : les murs étaient colorés et décorés de dessins enfantins représentant des petits lapins, des petits champignons, des petites fleurs, des petits pistolets... des petits pistolets ? Oui, et des petits tanks, des petits avions aux couleurs de la RPDC lâchant des bombes et des petits enfants coréens tuant des petits enfants soldats des États-Unis. Glaçant. Comme si cela ne suffisait pas, les petits élèves pouvaient admirer une série de dessins ressemblant à des photos représentant les tortures infligées par des soldats des États-Unis à de braves patriotes nord-coréens. Nous avons eu là la vision la plus dérangeante de notre voyage. Le culte de la personnalité, c'est une chose, mais la façon dont le régime conditionne les petits esprits à haïr un ennemi désigné fout un peu les chocottes. 
Militarisation des petits esprits dans une école de Corée du Nord
C'est pas bien de copier
Dans la dernière salle, enfin, les enfants nous ont donné un petit spectacle de danse, la maîtresse au piano. Bien coordonnés, ils ont enchaîné des exercices physiques en chantant en chœur, exécutant des rondes et jeux de mains (mais pas de vilains) entre eux. C'est à ce moment qu'ils sont venus nous faire participer à taper dans les mains, exercice pour lequel, comme la veille, ne connaissant pas la chorégraphie, nous avions l'air bien maladroits. Mais c'était rigolo. Les pauvres petits devaient être complètement intimidés de devoir faire un spectacle avec de grands Occidentaux habillés bizarrement et pas coiffés selon les quinze styles capillaires autorisés. Ils ont terminé leur performance par un jeu de pogo unijambiste : les enfants se mettent en rond, la maîtresse en choisit deux, le cercle se resserre, puis les deux combattants se prennent un pied avec les mains en le tenant devant la cuisse, puis, sautant à cloche-pied, ils se bousculent avec l'épaule jusqu'à ce que l'un deux perde l'équilibre. Le cercle d'enfants crie des encouragements sous nos yeux à la fois amusés par le spectacle et ébahis par tant de violence. Avant de repartir, nous avons encore vu une répétition d'un spectacle musical – même genre que la veille à l'école secondaire mais avec des adultes en doudoune – dans la salle des fêtes de la coopérative pas chauffée. Nous nous demandions comment ils pouvaient jouer de leurs instruments en ayant les doigts gelés.
Gymnastique matinale dans l'école d'une ferme collective
Paysage collectiviste et cyclable de Corée du Nord
Sur ces réflexions notre bus nous a emmenés visiter une usine d'embouteillage d'eau gazeuse, où nous avons eu droit à une dégustation gratuite. Très bonne eau naturellement gazeuse dont nous avons vu la source et dont la composition et la qualité ont été certifiées par un institut suisse. Si c'est pas une référence, ça ! Malheureusement, en raison d'une coupure de courant, l'usine ne fonctionnait pas mais nous avons quand même eu droit aux explications du guide local. Sur une idée de génie d'Antoine et inspirés par le site « Kim Jong-il looking at things », qui représente le cher leader disparu en 2011 en train de regarder avec la plus grande concentration grave un boulon, un livre, un biscuit, etc. derrière ses lunettes teintées, je me suis fait prendre en photo dans l'usine dans une position similaire. Le résultat est amusant mais il aurait pu être hilarant si d'autres camarades avaient joué le jeu et s'étaient placés derrière moi en train de me regarder avec admiration et respect ou en train de prendre des notes.
Le leader barbu en visite dans une usine d'embouteillage d'eau de source
Nous sommes retournés vers Pyongyang pour nous arrêter à la modeste ferme où serait né Kim Il-sung. Au-delà du grand moment de mystification, cela a été un intéressante occasion de découvrir le mode de vie paysan traditionnel coréen. La visite n'a pas été très longue, et c'est tant mieux, car elle se déroulait en extérieur et il faisait froid, quoique l'aimable soleil de novembre fût agréable. En retournant au bus, j'ai échangé quelques mots avec l'une de nos guides, une sympathique et souriante jeune femme de 27 ans, ai-je appris, qui m'a demandé ce que nous pensions en Occident de Kim Jong-un, le dirigeant actuel. Avant d'aller en Corée du Nord, on nous avait bien recommandé de ne pas aborder les questions de politique avec les locaux, ce qui relève du bon sens, selon moi, et là je me suis retrouvé dans une position où j'étais contraint de donner une réponse qui ne soit pas offensante pour mon interlocutrice, qui tenait certainement son grand leader en très haute estime (normal, il est grand). « Euh, il est considéré comme plus ouvert », ai-je dit sans m'étaler. Puis j'ai changé de sujet et la question n'a plus été abordée.
Maison natale de Kim Il-sung
À l'heure de manger, Antoine, souffrant d'une pénible nuit due à une porte fermée à clef, est resté dans le bus pour dormir et moi je suis allé prendre un énième repas royal avec quatre ou cinq plats que j'ai à peine touchés car je ne me sentais pas bien. Je ne pense pas que j'avais la gueule de bois mais plutôt que j'avais chopé un virus ou quelque chose. Je ne pouvais rien avaler. J'avais froid. J'étais éteint. Peut-être qu'un bon bain aux eaux bénéfiques de Nampo m'auraient aidé. Je suis retourné dans le bus avant la fin du repas pour fermer les yeux et essayer de dormir un instant.

Panorama urbain à Pyongyang
Plus la journée avançait et plus je me sentais mal. Fatigué, courbaturé, frigorifié, j'ai visité avec le groupe une grande bibliothèque monumentale où les Pyongyanguois et Pyongyanguiennes viennent s'instruire, et même en plusieurs langues. Bien sûr, toute une section est consacrée à l’œuvre des Kim, que des gens de tous âges étudiaient assidûment dans la salle de lecture. Notre guide locale avait vécu au Kazakhstan quand elle était petite et nous avons échangé deux trois politesses en russe. On nous a montré aussi une salle de musique, probablement la plus grande concentration de lecteurs de cassettes au monde au 21e siècle. Le jeune Jaime, un sympathique néerlandais de 18 ans qui voyage avec nous, nous a improvisé un petit concert sur le piano au fond de la salle, sans susciter aucun intérêt de la part des jeunes Coréens présents dans la salle. J'admire sa confiance.

La salle des radio-cassettes à la grande bibliothèque de Pyongyang
Après cela, le bus nous a rapprochés un peu de la grande place centrale, où nous nous sommes pendant un moment mêlés à la population, seulement pour rentrer dans une librairie en langues étrangères, où je n'ai rien acheté. Peut-être que j'ai beaucoup à apprendre des idées du juche mais j'ai préféré m'abstenir. Pas de posters non plus, ils ne me plaisaient pas. Nous avons marché un petit peu dans la rue jusqu'à la place centrale qui était un terrain d'entraînement idéal pour des jeunes faisant du roller et jouant au tennis. Nous sommes rentrés dans un café prendre une boisson chaude mais, là aussi, une coupure de courant empêchait la serveuse de servir toutes les commandes. 
Vue sur la grand' place de Pyongyang
Je suis resté prostré sur ma chaise, frigorifié et barbouillé, en buvant mon thé jusqu'à ce que nous repartions, direction le musée de la guerre de Corée, une vision toute subjective des événements qui se sont déroulés entre 1950 et 1953, où l'on apprend, preuves à l'appui, que ce sont les États-Unis qui ont déclenché la guerre. Cependant, le cadre et la présentation étaient tellement bons qu'on était prêt à croire tout ce qu'on nous disait : en plus des médailles, photos et plans de bataille de rigueur, on passe dans des salles reconstituant des tranchées coréennes, des champs de bataille, jusqu'au clou du spectacle, si on peut dire, un super diorama rotatif devant une fresque animée. Même en coréen, c'est super cool. Notre charmante guide avait commencé la visite en nous présentant des pièces militaires capturées aux Américains et le cuirassé USS Pueblo, capturé après la guerre de Corée sous prétexte qu'il violait l'accord de cessez-le-feu de Panmunjom. Les autorités présentent le Pueblo comme un trophée, une grande fierté pour les Coréens du Nord. Si la propagande et la modification des faits historiques en Corée du Nord fait peu de doutes, il faudrait aussi se demander quelle est la part de mystification dans nos livres d'histoire. Et si la guerre de Corée avait en effet été déclarée par surprise par les États-Unis pour les raisons officielles qu'on avance en RPDC ? Ce n'est pas impossible que, dans nos pays, on nous présente les faits d'une manière qui fasse passer le camp occidental pour les gentils libérateurs. Je dis ça, je dis rien.
L'USS Pueblo, un bateau impérialiste et espion
Monument aux combattants de la guerre de Corée et un hôtel en construction depuis les années 1990
Repas à nouveau. Toujours pas faim. Je me suis forcé à manger un peu de barbecue de canard avec tout ce qui l'accompagnait. Comme toujours, beaucoup trop de nourriture. Dans la salle à côté, on nous a montré un extrait des premiers jours de notre voyage en DVD. Une équipe de caméramans nous a accompagnés partout et filmait nos visites à cette fin. C'est une attention très sympathique mais payer 40 euros pour un DVD que je ne vais pas regarder, non merci.

Pyongyang, ville des amoureux (de Kim Il-sung), au crépuscule
Après une si grosse journée pendant laquelle je me suis senti patraque, je ne voulais malgré tout pas louper la dernière soirée avec le groupe, qui se déroulait au Club diplomatique de Pyongyang, un grand centre où se retrouvent les occidentaux travaillant à Pyongyang. Enfin peut-être, parce que je n'en ai pas vu. Nous avons établi le camp à la salle de karaoké, où les mêmes bourrins bourrés beuglant faux monopolisaient le micro à toutes les chansons, qu'ils les connaissent ou non. J'ai quand même pu chanter (avec grâce) deux ou trois chansons mais je suis parti à la fin de « Celebration » car la première navette de retour à l'hôtel se préparait à partir. Je n'ai pas pensé à dire adieu à notre accompagnateur Troy ni à tous ceux qui prenaient l'avion le lendemain et devaient quitter l'hôtel beaucoup plus tôt que nous autres qui rentrions en Chine en train. Du coup c'est le premier soir où je vais me coucher aussi tôt, à 22h30, et pourtant, j'ai l'impression qu'il est 1 heure du matin.