Dandong
1er
décembre 2013
Hier
soir je me suis endormi tout habillé sous la couette, l'ordinateur
sur les genoux, frigorifié. J'ai dû faire un effort considérable
pour me changer et retourner me coucher dans de meilleures
conditions. J'avais remarqué la veille qu'il n'y avait pas d'eau
froide et je comptais descendre à l'accueil pour le signaler mais je
me suis endormi avant. Pour tirer la chasse d'eau, je me suis servi
de deux gobelets que je remplissais alternativement d'eau chaude pour
les verser dans une poubelle en plastique dont, une fois pleine, je
jetais le contenu dans la cuvette des toilettes.
Le fleuve Yalou, marquant la frontière entre la RPDC et la RPC |
Ce
matin, l'eau froide n'était toujours pas revenue. J'ai profité du
passage inopiné d'une femme de chambre venue me dire quelque chose
en chinois pour lui montrer mon problème. Depuis l'affaire du
Sofitel de New York, les femmes de chambres se méfient des Français
pas habillés qui veulent leur montrer quelque chose dans la salle de
bains mais je lui suis reconnaissant d'avoir eu le courage de venir
voir l'état de mes toilettes et de ne pas avoir fait de remarques
désobligeantes. Remarquez, elle en a peut-être fait, mais en
chinois. Toujours est-il qu'un plombier en bleu de travail et
casquette est venu presque aussitôt pour constater qu'en effet,
l'eau froide ne coulait pas. Comme je n'avais pas toute la journée
et que le démontage de la salle de bain d'à côté – oui car le
problème semblait venir de la chambre contiguë – risquait de
prendre encore plus longtemps, je suis descendu prendre le
petit-déjeuner, du moins j'ai fait ce que j'ai pu, car je ne pouvais
toujours rien avaler, me contentant de quelques verres de jus
d'orange – chaud –, et je suis allé expliquer mon problème de
tuyauterie (dans la salle de bains, pas l'autre, plus personnel) à
la réception. Personne ne parlait l'anglais mais j'ai pu parler avec
un type au téléphone qui a ensuite répété ma requête de pouvoir
prendre une douche dans une autre chambre à la dame de la réception.
Je pensais que celle-ci allait me donner la clé d'une autre chambre
mais elle m'a renvoyé dans la mienne en me faisant comprendre avec
force pouces en l'air que tout était réglé.
L'eau
froide ne coulait toujours pas mais quelques secondes plus tard la
femme de chambre décrite ci-avant frappait à ma porte et me
montrait le chemin vers une chambre qui venait de se libérer et qui
n'avait pas encore été nettoyée. Elle était dégueulasse mais au
moins j'ai pu prendre ma douche pas trop brûlante pour affronter une
fraîche journée à Dandong, avec à peine 8 minutes de retard pour
le rendez vous à l'accueil avec mon guide.
Avertissement à la frontière sino-coréenne |
On
nous a installés, moi et mes valises, dans une voiture qui nous a
emmenés le long du fleuve Yalou. De l'autre côté, on voyait
quelques usines et surtout des champs situés en Corée du Nord. Nous
avons fait un premier arrêt à la sortie de la ville pour voir ce
qui reste des piliers du « pont des volontaires »,
construit par les Chinois pour acheminer des renforts à la Corée du
Nord pendant la guerre de Corée. Nous nous sommes éloignés encore
un peu plus de Dandong, toujours en longeant le fleuve, jusqu'à la
portion la plus orientale de la grande Muraille de Chine. Pendant le
trajet, le chauffeur était très intéressé de savoir que je venais
de France, parce que sa nièce vivait en France et travaillait à la
BNP. Il a même appelé sa sœur pour lui faire savoir la bonne
nouvelle qu'il avait un Français dans sa voiture. Le guide m'a
expliqué que le fait que je sois là, c'était comme si je
rapprochais un peu sa nièce de sa famille.
Monument aux "volontaires" chinois engagés dans la guerre de Corée, devant ce qu'il reste du "pont des volontaires" menant en Corée du Nord |
La rive coréenne vue depuis la Chine |
À
la muraille de Chine, nous avons commencé par aller voir un endroit
où la Corée du Nord est à un jet de pierre de la Chine. Des
soldats surveillent cette portion de la frontière même si, pour les
Coréens qui veulent fuir, il faut d'abord traverser le fleuve et se
rendre sur l'île, puis trouver un point de passage facile pour
passer le petit bras du Yalou et enfin franchir deux rangées de
barbelés. Sur l'île se trouve un village et des champs. Je me
demande ce que doivent penser les gens qui vivent de l'autre côté
de la rivière. Ils doivent bien voir qu'il y a un autre monde, là,
tout près.
Vue sur la RPDC depuis la Muraille de Chine |
Nous
sommes ensuite montés sur la muraille. C'est une joie de se trouver
sur un des monuments les plus célèbres au monde. Shan, mon guide,
m'a expliqué certaines des caractéristiques de la muraille, sa
raison d'être, ses atouts, etc. et nous l'avons arpentée sur
quelques centaines de mètres, grimpant (avec difficulté) jusqu'à
une tour par un passage très escarpé. De là haut, on avait une
très belle vue – la journée était magnifique – sur le paysage
de champs et de montagnes en Chine et en Corée. Sur un petit bras du
fleuve presque asséché, de l'eau stagnante avait gelé, ce qui
constituait un terrain de jeu idéal pour les enfants du village
coréen.
La Muraille de Chine près de Dandong, à la frontière coréenne |
Nous
sommes revenus à Dandong pour visiter le musée de la guerre de
Corée. Cette fois du point de vue chinois. Encore un peu patraque et
de surcroît à la masse du fait de n'avoir rien mangé le matin,
j'avais du mal à suivre les explications de mon guide. Ceci dit il
m'avait semblé qu'il n'avait pas clairement dit qui était
l'instigateur de la guerre. Je lui ai demandé quel était le point
de vue de la Chine à ce sujet et il m'a répondu qu'on ne savait pas
vraiment, précisant dans la foulée qu'on pense plutôt que c'est la
Corée du Nord qui a commencé. Si les Chinois le disent... Le musée
était pas mal fait, mais nous l'avons survolé et il n'était pas
comparable avec le musée ultra-cool sur la guerre de Corée que nous
avions vu à Pyongyang.
Pièces d'artillerie ayant servi pendant la guerre de Corée |
Repas
dans un restaurant au bord du fleuve. Je n'ai pas encore complètement
retrouvé l'appétit mais j'ai pu manger un peu. Le guide avait
commandé pour trois une soupe à l’œuf et à un autre truc
gluant, pas vraiment ce que je veux en convalescence, une salade
chaude avec des fruits de mer, très bonne, et un poulet entier
découpé froid. Entier c'est-à-dire avec la tête et les pattes. Le
poulet restant, on me l'a mis dans un sac en plastique pour le voyage
en train. À l'occasion de ce repas, j'ai pu apprécier comment le
Chinois consomme les pattes de poulet : il fourre chaque doigt
dans sa bouche, suce ce qui se trouve autour de l'os (un truc
essentiellement gélatineux) puis recrache la petite griffe. Un
régal ! (apparemment).
Menu au restaurant |
Après
le repas, nous avons traversé la rue pour monter dans un bateau nous
emmenant en promenade sur le fleuve. Ce n'était pas très
intéressant. On voit la Corée d'un peu plus près, certes, mais pas
tellement plus. On voit quelques silhouettes avec des vélos sur les
chantiers navals ou sur les quais gris, on s'approche des bateaux
nord-coréens qui stationnent au milieu de la rivière mais dont les
Chinois apparemment ignorent la fonction. Selon un traité entre les
deux pays, les cours d'eau marquant la frontière appartiennent aux
deux pays. La frontière n'est pas délimitée au milieu du cours
d'eau, si bien que les embarcations des deux pays peuvent circuler
librement sur tout le fleuve et se mêler les uns aux autres. Pour
mieux comparer les deux côtés – la Chine opulente et la Corée
indigente – je suis monté sur le pont supérieur. Alors que je
prenais une photo, j'ai senti qu'on me tirait la barbe doucement. Je
me suis dit que mon guide ne se serait jamais permis une telle
familiarité et quand j'ai détourné l’œil de mon viseur, j'ai vu
un Chinois tout sourire qui regardait ma barbe – pas taillée
depuis plus d'un mois et donc touffue et rousse – très amusé et
curieux. Je voyais bien qu'il ne pensait pas à mal en tripotant mes
expressions capillaires faciales mais je me suis dit que c'était pas
un truc qui se faisait quand même. Du coup je me suis amusé à lui
toucher sa joue glabre, ce qui l'a bien fait marrer : « hohoho,
mei you, mei you » (ho ho ho, y'en a pas, y'en a pas). Plus
tard, mon guide et lui ont échangé quelques mots et j'ai compris
d'après les explications de Shan qu'ils pensaient que j'étais Russe
et qu'ils venaient de la campagne (ils avaient deux enfants, ce qui
n'est possible qu'à la campagne), deux informations qui ne sont pas
liées entre elles mais qui expliquaient leur étonnement devant ma
trogne hirsute.
La rive coréenne du fleuve Yalou, face à la ville chinoise de Dandong |
Bateaux nord-coréens stationnant sur le fleuve Yalou face à Dandong |
Entre le pont et le demi-pont |
La
visite guidée s'est terminée là, sur le quai. Shan m'a remis le
ticket de train pour aller à Pékin et lui et le chauffeur m'ont
ramené à l'hôtel. J'avais l'intention d'aller un peu sur Internet
avant de ressortir me promener sur le pont cassé – une moitié de
pont qui était autrefois un pont entier reliant les deux pays et, je
crois, bombardé par les Américains – mais j'ai préféré faire
une sieste dans le lobby de l'hôtel, pendant que des Chinois
jouaient bruyamment sur leur téléphone, parlaient bruyamment à
leur voisin à 20 cm d'eux ou ruminaient bruyamment.
À la gare de Dandong |
Quand
j'ai émergé de ma sieste, il faisait nuit et l'envie m'était
passée de sortir me promener. J'ai patiemment attendu en écrivant
mon blog, jusqu'à ce qu'il soit l'heure d'aller prendre le train.
Comme dans un aéroport, il faut passer des contrôles de sécurité,
montrer son billet et attendre dans une grande salle d'attente à la
porte d'embarquement désignée. Le billet que j'avais me donnait
droit à une place dans un compartiment semi-fermé. Contrairement à
la Russie, où les wagons couchette sont soit en compartiments fermés
pour quatre personnes, soit divisés par six lits ouverts, et
contrairement au train que nous avons pris pour aller de Pyongyang à
Dandong, qui avait aussi des couchettes ouvertes de six personnes, le
wagon de ce train pour Pékin était divisé six lits par six, en
compartiments qui ne fermaient pas. Dans l'ensemble ça allait. Je
n'avais plus de batterie sur mon ordinateur pour pouvoir écrire
dessus. Pas de prises à disposition. Pas de livre à lire. Pas
vraiment faim, quoique j'ai mangé un peu du poulet d'à midi. Alors
j'ai fait comme d'autres passagers, je me suis allongé sur ma
couchette et j'ai essayé de dormir. À 20 heures à peu près.