jeudi 16 janvier 2014

Pendant ce temps, à Dandong

Dandong
1er décembre 2013
Hier soir je me suis endormi tout habillé sous la couette, l'ordinateur sur les genoux, frigorifié. J'ai dû faire un effort considérable pour me changer et retourner me coucher dans de meilleures conditions. J'avais remarqué la veille qu'il n'y avait pas d'eau froide et je comptais descendre à l'accueil pour le signaler mais je me suis endormi avant. Pour tirer la chasse d'eau, je me suis servi de deux gobelets que je remplissais alternativement d'eau chaude pour les verser dans une poubelle en plastique dont, une fois pleine, je jetais le contenu dans la cuvette des toilettes.
Le fleuve Yalou, marquant la frontière entre la RPDC et la RPC
Ce matin, l'eau froide n'était toujours pas revenue. J'ai profité du passage inopiné d'une femme de chambre venue me dire quelque chose en chinois pour lui montrer mon problème. Depuis l'affaire du Sofitel de New York, les femmes de chambres se méfient des Français pas habillés qui veulent leur montrer quelque chose dans la salle de bains mais je lui suis reconnaissant d'avoir eu le courage de venir voir l'état de mes toilettes et de ne pas avoir fait de remarques désobligeantes. Remarquez, elle en a peut-être fait, mais en chinois. Toujours est-il qu'un plombier en bleu de travail et casquette est venu presque aussitôt pour constater qu'en effet, l'eau froide ne coulait pas. Comme je n'avais pas toute la journée et que le démontage de la salle de bain d'à côté – oui car le problème semblait venir de la chambre contiguë – risquait de prendre encore plus longtemps, je suis descendu prendre le petit-déjeuner, du moins j'ai fait ce que j'ai pu, car je ne pouvais toujours rien avaler, me contentant de quelques verres de jus d'orange – chaud –, et je suis allé expliquer mon problème de tuyauterie (dans la salle de bains, pas l'autre, plus personnel) à la réception. Personne ne parlait l'anglais mais j'ai pu parler avec un type au téléphone qui a ensuite répété ma requête de pouvoir prendre une douche dans une autre chambre à la dame de la réception. Je pensais que celle-ci allait me donner la clé d'une autre chambre mais elle m'a renvoyé dans la mienne en me faisant comprendre avec force pouces en l'air que tout était réglé.

L'eau froide ne coulait toujours pas mais quelques secondes plus tard la femme de chambre décrite ci-avant frappait à ma porte et me montrait le chemin vers une chambre qui venait de se libérer et qui n'avait pas encore été nettoyée. Elle était dégueulasse mais au moins j'ai pu prendre ma douche pas trop brûlante pour affronter une fraîche journée à Dandong, avec à peine 8 minutes de retard pour le rendez vous à l'accueil avec mon guide.
Avertissement à la frontière sino-coréenne
On nous a installés, moi et mes valises, dans une voiture qui nous a emmenés le long du fleuve Yalou. De l'autre côté, on voyait quelques usines et surtout des champs situés en Corée du Nord. Nous avons fait un premier arrêt à la sortie de la ville pour voir ce qui reste des piliers du « pont des volontaires », construit par les Chinois pour acheminer des renforts à la Corée du Nord pendant la guerre de Corée. Nous nous sommes éloignés encore un peu plus de Dandong, toujours en longeant le fleuve, jusqu'à la portion la plus orientale de la grande Muraille de Chine. Pendant le trajet, le chauffeur était très intéressé de savoir que je venais de France, parce que sa nièce vivait en France et travaillait à la BNP. Il a même appelé sa sœur pour lui faire savoir la bonne nouvelle qu'il avait un Français dans sa voiture. Le guide m'a expliqué que le fait que je sois là, c'était comme si je rapprochais un peu sa nièce de sa famille.
Monument aux "volontaires" chinois engagés dans la guerre de Corée, devant ce qu'il reste du "pont des volontaires" menant en Corée du Nord
La rive coréenne vue depuis la Chine
À la muraille de Chine, nous avons commencé par aller voir un endroit où la Corée du Nord est à un jet de pierre de la Chine. Des soldats surveillent cette portion de la frontière même si, pour les Coréens qui veulent fuir, il faut d'abord traverser le fleuve et se rendre sur l'île, puis trouver un point de passage facile pour passer le petit bras du Yalou et enfin franchir deux rangées de barbelés. Sur l'île se trouve un village et des champs. Je me demande ce que doivent penser les gens qui vivent de l'autre côté de la rivière. Ils doivent bien voir qu'il y a un autre monde, là, tout près.
Vue sur la RPDC depuis la Muraille de Chine
Nous sommes ensuite montés sur la muraille. C'est une joie de se trouver sur un des monuments les plus célèbres au monde. Shan, mon guide, m'a expliqué certaines des caractéristiques de la muraille, sa raison d'être, ses atouts, etc. et nous l'avons arpentée sur quelques centaines de mètres, grimpant (avec difficulté) jusqu'à une tour par un passage très escarpé. De là haut, on avait une très belle vue – la journée était magnifique – sur le paysage de champs et de montagnes en Chine et en Corée. Sur un petit bras du fleuve presque asséché, de l'eau stagnante avait gelé, ce qui constituait un terrain de jeu idéal pour les enfants du village coréen.
La Muraille de Chine près de Dandong, à la frontière coréenne
Nous sommes revenus à Dandong pour visiter le musée de la guerre de Corée. Cette fois du point de vue chinois. Encore un peu patraque et de surcroît à la masse du fait de n'avoir rien mangé le matin, j'avais du mal à suivre les explications de mon guide. Ceci dit il m'avait semblé qu'il n'avait pas clairement dit qui était l'instigateur de la guerre. Je lui ai demandé quel était le point de vue de la Chine à ce sujet et il m'a répondu qu'on ne savait pas vraiment, précisant dans la foulée qu'on pense plutôt que c'est la Corée du Nord qui a commencé. Si les Chinois le disent... Le musée était pas mal fait, mais nous l'avons survolé et il n'était pas comparable avec le musée ultra-cool sur la guerre de Corée que nous avions vu à Pyongyang.
Pièces d'artillerie ayant servi pendant la guerre de Corée
Repas dans un restaurant au bord du fleuve. Je n'ai pas encore complètement retrouvé l'appétit mais j'ai pu manger un peu. Le guide avait commandé pour trois une soupe à l’œuf et à un autre truc gluant, pas vraiment ce que je veux en convalescence, une salade chaude avec des fruits de mer, très bonne, et un poulet entier découpé froid. Entier c'est-à-dire avec la tête et les pattes. Le poulet restant, on me l'a mis dans un sac en plastique pour le voyage en train. À l'occasion de ce repas, j'ai pu apprécier comment le Chinois consomme les pattes de poulet : il fourre chaque doigt dans sa bouche, suce ce qui se trouve autour de l'os (un truc essentiellement gélatineux) puis recrache la petite griffe. Un régal ! (apparemment).
Menu au restaurant
Après le repas, nous avons traversé la rue pour monter dans un bateau nous emmenant en promenade sur le fleuve. Ce n'était pas très intéressant. On voit la Corée d'un peu plus près, certes, mais pas tellement plus. On voit quelques silhouettes avec des vélos sur les chantiers navals ou sur les quais gris, on s'approche des bateaux nord-coréens qui stationnent au milieu de la rivière mais dont les Chinois apparemment ignorent la fonction. Selon un traité entre les deux pays, les cours d'eau marquant la frontière appartiennent aux deux pays. La frontière n'est pas délimitée au milieu du cours d'eau, si bien que les embarcations des deux pays peuvent circuler librement sur tout le fleuve et se mêler les uns aux autres. Pour mieux comparer les deux côtés – la Chine opulente et la Corée indigente – je suis monté sur le pont supérieur. Alors que je prenais une photo, j'ai senti qu'on me tirait la barbe doucement. Je me suis dit que mon guide ne se serait jamais permis une telle familiarité et quand j'ai détourné l’œil de mon viseur, j'ai vu un Chinois tout sourire qui regardait ma barbe – pas taillée depuis plus d'un mois et donc touffue et rousse – très amusé et curieux. Je voyais bien qu'il ne pensait pas à mal en tripotant mes expressions capillaires faciales mais je me suis dit que c'était pas un truc qui se faisait quand même. Du coup je me suis amusé à lui toucher sa joue glabre, ce qui l'a bien fait marrer : « hohoho, mei you, mei you » (ho ho ho, y'en a pas, y'en a pas). Plus tard, mon guide et lui ont échangé quelques mots et j'ai compris d'après les explications de Shan qu'ils pensaient que j'étais Russe et qu'ils venaient de la campagne (ils avaient deux enfants, ce qui n'est possible qu'à la campagne), deux informations qui ne sont pas liées entre elles mais qui expliquaient leur étonnement devant ma trogne hirsute.
La rive coréenne du fleuve Yalou, face à la ville chinoise de Dandong
Bateaux nord-coréens stationnant sur le fleuve Yalou face à Dandong
Entre le pont et le demi-pont
La visite guidée s'est terminée là, sur le quai. Shan m'a remis le ticket de train pour aller à Pékin et lui et le chauffeur m'ont ramené à l'hôtel. J'avais l'intention d'aller un peu sur Internet avant de ressortir me promener sur le pont cassé – une moitié de pont qui était autrefois un pont entier reliant les deux pays et, je crois, bombardé par les Américains – mais j'ai préféré faire une sieste dans le lobby de l'hôtel, pendant que des Chinois jouaient bruyamment sur leur téléphone, parlaient bruyamment à leur voisin à 20 cm d'eux ou ruminaient bruyamment.
À la gare de Dandong
Quand j'ai émergé de ma sieste, il faisait nuit et l'envie m'était passée de sortir me promener. J'ai patiemment attendu en écrivant mon blog, jusqu'à ce qu'il soit l'heure d'aller prendre le train. Comme dans un aéroport, il faut passer des contrôles de sécurité, montrer son billet et attendre dans une grande salle d'attente à la porte d'embarquement désignée. Le billet que j'avais me donnait droit à une place dans un compartiment semi-fermé. Contrairement à la Russie, où les wagons couchette sont soit en compartiments fermés pour quatre personnes, soit divisés par six lits ouverts, et contrairement au train que nous avons pris pour aller de Pyongyang à Dandong, qui avait aussi des couchettes ouvertes de six personnes, le wagon de ce train pour Pékin était divisé six lits par six, en compartiments qui ne fermaient pas. Dans l'ensemble ça allait. Je n'avais plus de batterie sur mon ordinateur pour pouvoir écrire dessus. Pas de prises à disposition. Pas de livre à lire. Pas vraiment faim, quoique j'ai mangé un peu du poulet d'à midi. Alors j'ai fait comme d'autres passagers, je me suis allongé sur ma couchette et j'ai essayé de dormir. À 20 heures à peu près.

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