Pékin
- Pyongyang
26
novembre 2013
Pourquoi
aller en Corée du Nord ? Quand je dis au gens que je vais faire
du tourisme en Corée du Nord, la réaction la plus fréquente, c'est
« Ah oui ? Mais je ne savais même pas qu'on pouvait y
aller. » Et même s'ils l'avaient su, cela ne leur serait
jamais venu à l'idée d'y aller.
De
fait, les gens qui font partie de mon groupe ont tous déjà une
certaine expérience du voyage. Ça je peux le comprendre :
quand on n'est jamais sorti de son patelin, c'est pas la Corée du
Nord qu'on choisirait comme première destination. Donc pourquoi
aller en Corée du Nord ? Premièrement, je pars du principe que tout lieu a
quelque chose à montrer. Pas forcément esthétique mais quelque
chose d'original ou une façon particulière de présenter les
choses. Deuxièmement, je suis allé plusieurs fois en Russie mais la première fois c'était seulement en 1994, c'est-à-dire après la
chute de l'Union soviétique, or j'aurais tellement voulu connaître
la Russie à cette époque, voir comment les gens vivaient, pouvoir
comparer les différences entre mon pays occidental et la
superpuissance communiste. J'espérais retrouver un peu de ce
sentiment en allant en Corée du Nord : voir de mes propres yeux
un endroit dont on n'arrive pas à savoir grand chose en Occident,
voir comment on vit dans un pays socialiste, malgré la différence
culturelle fondamentale qui sépare mon pays de la Corée. Enfin, comme quand ta mère te dit de ne pas regarder dans la boîte à secrets cachée dans la chambre des parents, la première chose qu'on veut faire, c'est aller voir ce qu'il y a de si secret. Les échos de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) nous parviennent au compte goutte et je ne m'imaginais guère être en mesure, dans mon voyage organisé, de faire des découvertes que je pourrais révéler au monde, mais au moins pensais-je pouvoir guigner à l'intérieur d'un pays fermé à clef depuis près de soixante ans.
J'ai
dû me lever de bonne heure pour prendre le temps d'aller jusqu'à
l'aéroport et retrouver le Néo-Zélandais Troy, notre
accompagnateur, et le reste du groupe à 10 heures pile. Pendant
l'attente au comptoir d'enregistrement, j'ai pu rencontrer pas mal de
gens voyageant avec moi : essentiellement des Européens et des Australiens,
des Britanniques et quelques Américains. Certains voyageaient entre
amis ou en couple mais la plupart étaient des voyageurs individuels.
Il y avait une équipe de rappeurs qui venaient tourner un clip en
Corée du Nord et un type qui avait perdu son passeport le soir où
nous sommes sortis au club. Il avait des photocopies et on lui avait
dit que ça ne poserait pas de problème mais j'ai appris par la
suite qu'on ne l'a pas laissé sortir de Chine. Pour lui finie
l'aventure avant même qu'elle ne commence.
Après
les contrôles de douane et de sécurité, j'ai pris un repas chinois
et pas trop mauvais dans le seul restaurant de la zone puis j'ai
attendu patiemment avec d'autres voyageurs à la porte
d'embarquement. Il y avait pas mal de Chinois, mais aussi des Coréens
(pas du Sud, ils n'ont pas le droit d'aller au Nord), qu'on
reconnaissait aux badges de Kim Il-Sung ou Kim Jong-Il qu'ils
arboraient fièrement au revers de leur veston. J'en ai déduit que
c'étaient des personnes qui avaient mérité de sortir du pays mais
Troy m'a expliqué que beaucoup de Nord-Coréens voyageaient –
hommes d'affaires (c'est-à-dire responsables d'entreprises d'État),
sportifs, chercheurs, scientifiques – notamment en Chine mais aussi
en Malaisie, à Singapour et même en France. Quoi qu'il en soit, ce
sont quand même des privilégiés.
Nous
avons embarqué dans un avion d'Air Koryo, la compagnie nationale
nord-coréenne, où nous avons été accueillis par de jolies
hôtesses de l'air arborant elles aussi, pour la plupart, des pins' à
l'effigie des leaders de leur pays. L'avion était un Tupolev russe
en très bon état, mais à l'habillage un peu rétro. Je ne saurais
pas expliquer ce que c'est mais il y avait quelque chose de
particulier dans ce vol. On avait plutôt l'impression de prendre un
bus et il y avait une ambiance surannée mais c'est peut-être parce
que je savais où je me trouvais et où j'allais. On nous a servi un
hamburger froid – pas vraiment le genre de nourriture à laquelle
on s'attend en Corée du Nord – pas génial mais mangeable. Le vol
a duré deux heures, qui sont passées très vite. À l'approche de
Pyongyang, ceux qui étaient près du hublot pouvaient admirer les
montagnes nord-coréennes, à certains endroits enneigées, et faire
connaissance de haut avec le pays. Moi j'étais côté couloir alors
j'ai demandé à un camarade de prendre les photos pour moi.
Puis
l'avion s'est posé. Il est venu stationner juste devant l'aérogare,
comme un bus, et nous sommes descendus, avons marché 20 mètres sur
le tarmac et sommes rentrés dans le petit local, pas plus grand
qu'un aéroport régional français. À la sortie de l'avion, nous
avons été autorisés à prendre des photos de l'avion, mais nous
avions pour consigne de ne pas prendre de photographies de
l'aéroport. Pas particulièrement choquant, dans la mesure où ce genre de restrictions existent dans beaucoup d'aéroports, y compris en Europe. Le contrôle des passeports se faisait là,
à l'entrée. Il y a eu quelques problèmes avec mon cas, je ne sais
pas pourquoi. L'agent qui examinait mon passeport et son chef
essayaient de faire quelque chose avec mon passeport mais je pense
que c'était un problème technique. Quand il a comparé ma photo de
passeport datant de mon ère précapillaire et ma trogne fleurie, le
type a fait une moue, puis a eu l'air de dire « ouais, ça doit
quand même être lui », puis il a fait encore une ou deux
manipulation, m'a posé sous le nez la feuille de douane que j'avais
remplie dans l'avion en me demandant où je vis. Je lui ai montré
que j'avais écrit Ornex, il a répété, presque sans accent
« Ornex » (en prononçant le X). Quelle rue ? -
Avenue de Vessy. - Aaah, Vessy (sans accent). Il m'a rendu mon
passeport, et avec un sourire en sus. Ça, je ne m'y attendais pas de la
part d'un militaire en Corée du Nord.
Récupération
des bagages, confiscation provisoire du téléphone portable et du
passeport, scan des bagages, détecteur de métaux. L'entrée en
Corée du Nord s'est faite sans problème, assez rapidement. J'ai
récupéré mon téléphone – qui ne me sert à rien de toute façon
puisque non seulement on ne peut pas se connecter à Internet mais en
plus on ne peut même pas prendre le réseau de téléphonie mobile
locale – et je suis sorti humer le bon air non pollué de la Corée
du Nord. Je suis en Corée du Nord ! Je suis dans un des pays les plus fermés au monde. Mon esprit s'est évadé un instant au-dessus d'une carte du monde en se concentrant sur ce petit bout de territoire en Asie de l'Est, coincé entre une Chine ultralibérale, un voisin-frère coréen opulent et un bout de Russie-ancien allié, à quelques encablures de l'ancien bourreau japonais, aujourd'hui ultra-développé. Dans ma tête, j'ai passé en revue les images de la Corée du Nord que je connaissais : ces foules qui pleurent à la télé le décès de Kim Il-sung puis celui de Kim Jong-il, les fusées lancées vers la mer du Japon, les parades militaires, les petits écoliers virtuoses de 5 ans jouant sur des guitares presque plus grosses qu'eux et exécutant une chorégraphie simple mais millimétrée, la bande-dessinée Pyongyang, de Guy Delisle, les photos de Kim Jong-il regardant des trucs au cours de ses diverses visites de propagande.
Un guide nous attendait à
la sortie. Je n'ai pas osé m'aventurer très loin car je ne voulais
pas causer de problèmes mais j'ai eu le temps de me rendre compte
que la piste de l'aéroport n'est pas du tout séparée du reste du
monde par un quelconque grillage. En théorie, j'aurais pu sortir de
l'avion et faire le tour de l'aérogare et je serais entré en Corée
du Nord en une minute. Bon, je ne vois pas bien pourquoi j'aurais
fait ça, surtout que je n'aurais pas pu récupérer ma valise, mais
ça me semble curieux du point de vue de la sécurité. On arguera que les immigrants ne se bousculent pas au portillon de la RPDC, mais même, en admettant qu'un esprit subversif – pour autant que l'efficace propagande n'ait pas réussi à éradiquer toute subversion – décide de faire sauter le hub aéroportuaire (un bien grand mot) ou la flotte aérienne (un autre grand mot) de la Corée du Nord, il n'aurait qu'à passer en sifflotant sur le côté de l'aérogare avec son engin explosif.
Première
impression de la Corée du Nord : quand je suis entré dans la
petite aérogare, j'ai dit à un de mes camarades « je
crois qu'on vient d'atterrir en 1950 ». C'est vrai que
l'installation était rudimentaire mais il y avait aussi des
comptoirs tout neufs pour les douaniers, des écrans LCD au mur pour
afficher les informations sur les trois vols de la journée, plusieurs scanners. Sur le tarmac,
divers véhicules de service s'affairaient. Le tout sous la
bienveillante supervision du grand leader et du cher leader, en photo
au-dessus de la sortie de l'aérogare. À l'extérieur, un tout petit
parking, quelques voitures modernes dessus (surtout des marques
chinoises, pour autant que je puisse en juger) et même des Mercedes
(mais pas des modèles récents). Au-delà de cette esplanade de 50
mètres de largeur, une route surélevée sur laquelle passaient des
civils à vélo et à pied, ainsi que des tas de militaires et des
ouvriers transportant des matériaux de construction, probablement
pour la nouvelle aérogare qui est en train de sortir de terre. Et
encore plus loin, des immeubles gris et impersonnels sous un ciel
gris (mais pas forcément impersonnel). Je ne savais pas trop à quoi
m'attendre en ce qui concerne la population locale. J'imaginais
vaguement que nous croiserions des autochtones mais qu'on ne pourrait
pas les approcher du tout. En fait, on se mêle à la population, même
si, bien sûr, la communication est difficile car les locaux ne
parlent que coréen et que, de mon côté, je maîtrise mal la langue de Psy, surtout dans sa variante septentrionale.
Nous
avons attendu que tout le groupe soit réuni, puis nous avons été
séparés en deux groupes qui ont chacun monté dans un bus.
Pendant le trajet, un de nos trois guides nous a souhaité la
bienvenue. Ils sont tous très sympathiques, répondent aux questions
sans problème, souriants. Le speech qu'on a eu a été habilement
amené pour nous expliquer qu'il ne fallait pas prendre des photos de
militaires notamment. Le paysage était très intéressant entre
l'aéroport et le centre de Pyongyang. Une rivière, des immeubles
modernes et des gens, plein, sur des vélos ou à pied, en train de
vivre leur vie d'habitants de la Corée du Nord. Nous avons passé
des champs, des monuments aux dirigeants.
Puis
nous sommes arrivés dans le centre de Pyongyang. La route est
devenue meilleure et les immeubles paraissaient mieux entretenus. Au
bord des grandes avenues s'alignaient des immeubles de bureaux ou
d'habitation massifs comme on en voit beaucoup en Russie, ainsi que
des monuments ou édifices de pur style socialiste monolithique. Nous
nous sommes arrêtés sur une place avec deux portraits géants des
deux Kim décédés où, malgré le froid, traînaient ou passaient
pas mal de gens qui faisaient à peine attention à nous. Certains
parlaient dans un téléphone portable, d'autres discutaient
face-à-face. Leur accoutrement n'était pas la tenue austère à
laquelle je m'attendais. Il y avait un peu de couleur dans les
vestes. Bref, j'ai découvert une Pyongyang plus riche et moins
glauque que prévu. Avant de remonter dans le bus, on nous a proposé – mais sans trop de pression, mais en nous faisant comprendre que ce serait mieux –
d'acheter des fleurs à déposer plus loin devant les statues
massives en bronze de Kim Jong-il et de Kim il-Sung, les plus grandes statues de bronze au monde et, a fortiori, les plus grandes statues de bronze de Kim Jong-il et de Kim Il-sung.
Nous
sommes arrivés sur la place à la tombée de la nuit au moment où
le monument s'éclairait. On nous a enjoint de nous mettre sur deux
rangs. Ceux qui avaient un bouquet de fleurs ont pu aller le déposer
à l'endroit prévu à cet effet, au pied des deux statues, puis nous
sommes revenus à nos places sur deux rangs et, ensemble, nous nous
sommes inclinés en signe de respect pour les deux dirigeants. Il
n'était pas question de ne pas le faire. On avait été prévenus,
nous avions accepté de nous plier (si je puis dire) aux règles du
jeu, quelles que soient nos convictions. J'ai essayé d'imaginer la
scène et j'aurais voulu que quelqu'un nous prenne en photo. La
police secrète s'en est peut-être chargé ? Ensuite nous avons pu
faire le tour de la place pour admirer le monument de loin, assez
impressionnant, dois-je avouer, et, face aux statues, la rivière et,
au-delà, Pyongyang quasiment plongée dans le noir, alors qu'à
quelques mètres de nous se dressaient de grandes tours toutes neuves
et décorées de lumières de couleur. Nous avons pu voir que nous n'étions pas les seuls à venir montrer notre respect aux dirigeants de la Corée du Nord. Des groupes d'adultes, d'écoliers et même des mariés et leurs invités sont venus s'incliner devant les deux statues de bronze géantes. Des jeunes filles ont ensuite entrepris – « volontairement » – de balayer les marches menant au monument.
Nous
avons refait un petit tour en bus pour aller au restaurant. Le
chauffage n'avait pas été mis en route et il y faisait froid mais
la nourriture était très bonne. Contrairement à l'habitude à
laquelle je m'était fait en Corée du Sud, ils n'apportent pas des
petits légumes à manger en même temps que le reste du repas, mais
plusieurs plats qui se sont succédé : kimchi, poulet,
omelette, calamar, porc, riz, soupe de nouilles au poulet. Excellent et copieux.
Enfin,
on nous a amenés à l'hôtel, le Yanggakdo, là où séjournent la plupart
des étrangers en visite à Pyongyang, une tour monumentale de plus
de 40 étages, éclairée au milieu d'une île alors que le reste de
la ville est pour ainsi dire plongé dans le noir, très luxueux à
l'intérieur – luxe style années 1970-80 – y compris les
chambres, qui sont équipées d'un téléviseur (cathodique) diffusant la chaîne du pouvoir, des chaînes chinoises et la BBC, de lits
confortables et d'un frigo et dont la salle de bain dispose de tout ce
qu'il faut pour être propre. Le téléphone est un vieux modèle
qu'on rencontrait fréquemment en France dans les années 1990. Tout
ce qui est moderne (urinoirs, sèche-mains, frigo) est assez
généralement de provenance chinoise et le reste, c'est de la
récupération de bon matériel un peu obsolète, comme le téléphone
ou la télé JVC. Et ça a l'air de s'appliquer aux autres endroits
qu'on a vus, y compris aux voitures, qui sont récentes et de
fabrication chinoises. D'ailleurs j'imaginais qu'il y en aurait
beaucoup moins, mais apparemment certaines personnes réussissent à
bien tirer leur épingle du jeu.
Je
partage ma chambre avec le Québécois Antoine. Nous sommes descendus
à 20h30 pour boire un coup au bar, où ils servent de la bière
brassée localement à l'hôtel. Les serveuses et l'ensemble du
personnel de l'hôtel n'est pas bien bavard – toujours un problème
de communication interlinguistique – mais souriant. J'ai bu deux
bières tout en étant allé faire un tour dans le lobby de l'hôtel
pour voir ce qu'il y avait. J'ai trouvé des cartes-postales et des
timbres à une petite poste ouverte 24 heures, au comptoir de laquelle
se trouvaient deux dames rigolotes et très aimables qui m'ont aidé
à coller les timbres sur les cartes, car j'avais beau les lécher,
les timbres n'adhéraient pas. Il faut passer le doigt dans un pot de
colle et l'appliquer au dos du timbre.
Je
voulais partir tôt après mes deux bières mais j'ai été pris dans
la conversation avec Chris, un des responsables de YPT, et les autres
et je me suis laissé entraîner au sous-sol de l'hôtel, où se
trouvent trois lignes de bowling. D'autres avaient entamé une partie
alors je me suis contenté de discuter sur place. On m'a quand même
laissé lancer la boule deux ou trois fois, avec des résultats
mitigés. J'ai essayé d'engager la conversation avec les serveuses
en leur montrant une fresque murale assez kitsch représentant une
montagne. Une m'a dit le nom de la montagne et une autre m'a dit
« karaoké », essayant de m'attirer, moi et mes camarades de voyages, vers la salle de karaoké au bout du couloir afin que nous y laissions quelques devises.
Après la partie de bowling, plusieurs d'entre nous sommes allés
beugler dans le micro. Ce n'était définitivement pas la même
qualité de chant qu'avec mes collègues à Séoul mais c'était
amusant tout de même. Résultat des courses, je suis rentré à ma
chambre presque à 2 heures du matin, mais pour ne pas trop perdre de
mon expérience unique dans ce pays unique, j'ai préféré me priver
(encore une fois) de sommeil pour l'écrire ici même. Le réveil à
6h20 va être difficile.
Que de détails! Et on en est à la première journée seulement.
RépondreSupprimerJ'ai mis un lien vers ton article sur mon blog pour ceux qui ça pourrait intéresser.
Merci! Je mettrai un lien vers ton article aussi quand j'en aurai terminé avec la RPDC. Il se peut aussi que je te pique certaines de tes vidéos, qui sont super!
RépondreSupprimer