mercredi 11 décembre 2013

Pendant ce temps, au Yanggakdo International Hotel

Pékin - Pyongyang

26 novembre 2013



Pourquoi aller en Corée du Nord ? Quand je dis au gens que je vais faire du tourisme en Corée du Nord, la réaction la plus fréquente, c'est « Ah oui ? Mais je ne savais même pas qu'on pouvait y aller. » Et même s'ils l'avaient su, cela ne leur serait jamais venu à l'idée d'y aller.


De fait, les gens qui font partie de mon groupe ont tous déjà une certaine expérience du voyage. Ça je peux le comprendre : quand on n'est jamais sorti de son patelin, c'est pas la Corée du Nord qu'on choisirait comme première destination. Donc pourquoi aller en Corée du Nord ? Premièrement, je pars du principe que tout lieu a quelque chose à montrer. Pas forcément esthétique mais quelque chose d'original ou une façon particulière de présenter les choses. Deuxièmement, je suis allé plusieurs fois en Russie mais la première fois c'était seulement en 1994, c'est-à-dire après la chute de l'Union soviétique, or j'aurais tellement voulu connaître la Russie à cette époque, voir comment les gens vivaient, pouvoir comparer les différences entre mon pays occidental et la superpuissance communiste. J'espérais retrouver un peu de ce sentiment en allant en Corée du Nord : voir de mes propres yeux un endroit dont on n'arrive pas à savoir grand chose en Occident, voir comment on vit dans un pays socialiste, malgré la différence culturelle fondamentale qui sépare mon pays de la Corée. Enfin, comme quand ta mère te dit de ne pas regarder dans la boîte à secrets cachée dans la chambre des parents, la première chose qu'on veut faire, c'est aller voir ce qu'il y a de si secret. Les échos de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) nous parviennent au compte goutte et je ne m'imaginais guère être en mesure, dans mon voyage organisé, de faire des découvertes que je pourrais révéler au monde, mais au moins pensais-je pouvoir guigner à l'intérieur d'un pays fermé à clef depuis près de soixante ans.


J'ai dû me lever de bonne heure pour prendre le temps d'aller jusqu'à l'aéroport et retrouver le Néo-Zélandais Troy, notre accompagnateur, et le reste du groupe à 10 heures pile. Pendant l'attente au comptoir d'enregistrement, j'ai pu rencontrer pas mal de gens voyageant avec moi : essentiellement des Européens et des Australiens, des Britanniques et quelques Américains. Certains voyageaient entre amis ou en couple mais la plupart étaient des voyageurs individuels. Il y avait une équipe de rappeurs qui venaient tourner un clip en Corée du Nord et un type qui avait perdu son passeport le soir où nous sommes sortis au club. Il avait des photocopies et on lui avait dit que ça ne poserait pas de problème mais j'ai appris par la suite qu'on ne l'a pas laissé sortir de Chine. Pour lui finie l'aventure avant même qu'elle ne commence.



Après les contrôles de douane et de sécurité, j'ai pris un repas chinois et pas trop mauvais dans le seul restaurant de la zone puis j'ai attendu patiemment avec d'autres voyageurs à la porte d'embarquement. Il y avait pas mal de Chinois, mais aussi des Coréens (pas du Sud, ils n'ont pas le droit d'aller au Nord), qu'on reconnaissait aux badges de Kim Il-Sung ou Kim Jong-Il qu'ils arboraient fièrement au revers de leur veston. J'en ai déduit que c'étaient des personnes qui avaient mérité de sortir du pays mais Troy m'a expliqué que beaucoup de Nord-Coréens voyageaient – hommes d'affaires (c'est-à-dire responsables d'entreprises d'État), sportifs, chercheurs, scientifiques – notamment en Chine mais aussi en Malaisie, à Singapour et même en France. Quoi qu'il en soit, ce sont quand même des privilégiés.
Nous avons embarqué dans un avion d'Air Koryo, la compagnie nationale nord-coréenne, où nous avons été accueillis par de jolies hôtesses de l'air arborant elles aussi, pour la plupart, des pins' à l'effigie des leaders de leur pays. L'avion était un Tupolev russe en très bon état, mais à l'habillage un peu rétro. Je ne saurais pas expliquer ce que c'est mais il y avait quelque chose de particulier dans ce vol. On avait plutôt l'impression de prendre un bus et il y avait une ambiance surannée mais c'est peut-être parce que je savais où je me trouvais et où j'allais. On nous a servi un hamburger froid – pas vraiment le genre de nourriture à laquelle on s'attend en Corée du Nord – pas génial mais mangeable. Le vol a duré deux heures, qui sont passées très vite. À l'approche de Pyongyang, ceux qui étaient près du hublot pouvaient admirer les montagnes nord-coréennes, à certains endroits enneigées, et faire connaissance de haut avec le pays. Moi j'étais côté couloir alors j'ai demandé à un camarade de prendre les photos pour moi.


Puis l'avion s'est posé. Il est venu stationner juste devant l'aérogare, comme un bus, et nous sommes descendus, avons marché 20 mètres sur le tarmac et sommes rentrés dans le petit local, pas plus grand qu'un aéroport régional français. À la sortie de l'avion, nous avons été autorisés à prendre des photos de l'avion, mais nous avions pour consigne de ne pas prendre de photographies de l'aéroport. Pas particulièrement choquant, dans la mesure où ce genre de restrictions existent dans beaucoup d'aéroports, y compris en Europe. Le contrôle des passeports se faisait là, à l'entrée. Il y a eu quelques problèmes avec mon cas, je ne sais pas pourquoi. L'agent qui examinait mon passeport et son chef essayaient de faire quelque chose avec mon passeport mais je pense que c'était un problème technique. Quand il a comparé ma photo de passeport datant de mon ère précapillaire et ma trogne fleurie, le type a fait une moue, puis a eu l'air de dire « ouais, ça doit quand même être lui », puis il a fait encore une ou deux manipulation, m'a posé sous le nez la feuille de douane que j'avais remplie dans l'avion en me demandant où je vis. Je lui ai montré que j'avais écrit Ornex, il a répété, presque sans accent « Ornex » (en prononçant le X). Quelle rue ? - Avenue de Vessy. - Aaah, Vessy (sans accent). Il m'a rendu mon passeport, et avec un sourire en sus. Ça, je ne m'y attendais pas de la part d'un militaire en Corée du Nord.


Récupération des bagages, confiscation provisoire du téléphone portable et du passeport, scan des bagages, détecteur de métaux. L'entrée en Corée du Nord s'est faite sans problème, assez rapidement. J'ai récupéré mon téléphone – qui ne me sert à rien de toute façon puisque non seulement on ne peut pas se connecter à Internet mais en plus on ne peut même pas prendre le réseau de téléphonie mobile locale – et je suis sorti humer le bon air non pollué de la Corée du Nord. Je suis en Corée du Nord ! Je suis dans un des pays les plus fermés au monde. Mon esprit s'est évadé un instant au-dessus d'une carte du monde en se concentrant sur ce petit bout de territoire en Asie de l'Est, coincé entre une Chine ultralibérale, un voisin-frère coréen opulent et un bout de Russie-ancien allié, à quelques encablures de l'ancien bourreau japonais, aujourd'hui ultra-développé. Dans ma tête, j'ai passé en revue les images de la Corée du Nord que je connaissais : ces foules qui pleurent à la télé le décès de Kim Il-sung puis celui de Kim Jong-il, les fusées lancées vers la mer du Japon, les parades militaires, les petits écoliers virtuoses de 5 ans jouant sur des guitares presque plus grosses qu'eux et exécutant une chorégraphie simple mais millimétrée, la bande-dessinée Pyongyang, de Guy Delisle, les photos de Kim Jong-il regardant des trucs au cours de ses diverses visites de propagande.

Un guide nous attendait à la sortie. Je n'ai pas osé m'aventurer très loin car je ne voulais pas causer de problèmes mais j'ai eu le temps de me rendre compte que la piste de l'aéroport n'est pas du tout séparée du reste du monde par un quelconque grillage. En théorie, j'aurais pu sortir de l'avion et faire le tour de l'aérogare et je serais entré en Corée du Nord en une minute. Bon, je ne vois pas bien pourquoi j'aurais fait ça, surtout que je n'aurais pas pu récupérer ma valise, mais ça me semble curieux du point de vue de la sécurité. On arguera que les immigrants ne se bousculent pas au portillon de la RPDC, mais même, en admettant qu'un esprit subversif pour autant que l'efficace propagande n'ait pas réussi à éradiquer toute subversion – décide de faire sauter le hub aéroportuaire (un bien grand mot) ou la flotte aérienne (un autre grand mot) de la Corée du Nord, il n'aurait qu'à passer en sifflotant sur le côté de l'aérogare avec son engin explosif.



Première impression de la Corée du Nord : quand je suis entré dans la petite aérogare, j'ai dit à un de mes camarades « je crois qu'on vient d'atterrir en 1950 ». C'est vrai que l'installation était rudimentaire mais il y avait aussi des comptoirs tout neufs pour les douaniers, des écrans LCD au mur pour afficher les informations sur les trois vols de la journée, plusieurs scanners. Sur le tarmac, divers véhicules de service s'affairaient. Le tout sous la bienveillante supervision du grand leader et du cher leader, en photo au-dessus de la sortie de l'aérogare. À l'extérieur, un tout petit parking, quelques voitures modernes dessus (surtout des marques chinoises, pour autant que je puisse en juger) et même des Mercedes (mais pas des modèles récents). Au-delà de cette esplanade de 50 mètres de largeur, une route surélevée sur laquelle passaient des civils à vélo et à pied, ainsi que des tas de militaires et des ouvriers transportant des matériaux de construction, probablement pour la nouvelle aérogare qui est en train de sortir de terre. Et encore plus loin, des immeubles gris et impersonnels sous un ciel gris (mais pas forcément impersonnel). Je ne savais pas trop à quoi m'attendre en ce qui concerne la population locale. J'imaginais vaguement que nous croiserions des autochtones mais qu'on ne pourrait pas les approcher du tout. En fait, on se mêle à la population, même si, bien sûr, la communication est difficile car les locaux ne parlent que coréen et que, de mon côté, je maîtrise mal la langue de Psy, surtout dans sa variante septentrionale.



Nous avons attendu que tout le groupe soit réuni, puis nous avons été séparés en deux groupes qui ont chacun monté dans un bus. Pendant le trajet, un de nos trois guides nous a souhaité la bienvenue. Ils sont tous très sympathiques, répondent aux questions sans problème, souriants. Le speech qu'on a eu a été habilement amené pour nous expliquer qu'il ne fallait pas prendre des photos de militaires notamment. Le paysage était très intéressant entre l'aéroport et le centre de Pyongyang. Une rivière, des immeubles modernes et des gens, plein, sur des vélos ou à pied, en train de vivre leur vie d'habitants de la Corée du Nord. Nous avons passé des champs, des monuments aux dirigeants.



Puis nous sommes arrivés dans le centre de Pyongyang. La route est devenue meilleure et les immeubles paraissaient mieux entretenus. Au bord des grandes avenues s'alignaient des immeubles de bureaux ou d'habitation massifs comme on en voit beaucoup en Russie, ainsi que des monuments ou édifices de pur style socialiste monolithique. Nous nous sommes arrêtés sur une place avec deux portraits géants des deux Kim décédés où, malgré le froid, traînaient ou passaient pas mal de gens qui faisaient à peine attention à nous. Certains parlaient dans un téléphone portable, d'autres discutaient face-à-face. Leur accoutrement n'était pas la tenue austère à laquelle je m'attendais. Il y avait un peu de couleur dans les vestes. Bref, j'ai découvert une Pyongyang plus riche et moins glauque que prévu. Avant de remonter dans le bus, on nous a proposé mais sans trop de pression, mais en nous faisant comprendre que ce serait mieux d'acheter des fleurs à déposer plus loin devant les statues massives en bronze de Kim Jong-il et de Kim il-Sung, les plus grandes statues de bronze au monde et, a fortiori, les plus grandes statues de bronze de Kim Jong-il et de Kim Il-sung.


Nous sommes arrivés sur la place à la tombée de la nuit au moment où le monument s'éclairait. On nous a enjoint de nous mettre sur deux rangs. Ceux qui avaient un bouquet de fleurs ont pu aller le déposer à l'endroit prévu à cet effet, au pied des deux statues, puis nous sommes revenus à nos places sur deux rangs et, ensemble, nous nous sommes inclinés en signe de respect pour les deux dirigeants. Il n'était pas question de ne pas le faire. On avait été prévenus, nous avions accepté de nous plier (si je puis dire) aux règles du jeu, quelles que soient nos convictions. J'ai essayé d'imaginer la scène et j'aurais voulu que quelqu'un nous prenne en photo. La police secrète s'en est peut-être chargé ? Ensuite nous avons pu faire le tour de la place pour admirer le monument de loin, assez impressionnant, dois-je avouer, et, face aux statues, la rivière et, au-delà, Pyongyang quasiment plongée dans le noir, alors qu'à quelques mètres de nous se dressaient de grandes tours toutes neuves et décorées de lumières de couleur. Nous avons pu voir que nous n'étions pas les seuls à venir montrer notre respect aux dirigeants de la Corée du Nord. Des groupes d'adultes, d'écoliers et même des mariés et leurs invités sont venus s'incliner devant les deux statues de bronze géantes. Des jeunes filles ont ensuite entrepris – « volontairement » – de balayer les marches menant au monument.


Nous avons refait un petit tour en bus pour aller au restaurant. Le chauffage n'avait pas été mis en route et il y faisait froid mais la nourriture était très bonne. Contrairement à l'habitude à laquelle je m'était fait en Corée du Sud, ils n'apportent pas des petits légumes à manger en même temps que le reste du repas, mais plusieurs plats qui se sont succédé : kimchi, poulet, omelette, calamar, porc, riz, soupe de nouilles au poulet. Excellent et copieux.


Enfin, on nous a amenés à l'hôtel, le Yanggakdo, là où séjournent la plupart des étrangers en visite à Pyongyang, une tour monumentale de plus de 40 étages, éclairée au milieu d'une île alors que le reste de la ville est pour ainsi dire plongé dans le noir, très luxueux à l'intérieur – luxe style années 1970-80 – y compris les chambres, qui sont équipées d'un téléviseur (cathodique) diffusant la chaîne du pouvoir, des chaînes chinoises et la BBC, de lits confortables et d'un frigo et dont la salle de bain dispose de tout ce qu'il faut pour être propre. Le téléphone est un vieux modèle qu'on rencontrait fréquemment en France dans les années 1990. Tout ce qui est moderne (urinoirs, sèche-mains, frigo) est assez généralement de provenance chinoise et le reste, c'est de la récupération de bon matériel un peu obsolète, comme le téléphone ou la télé JVC. Et ça a l'air de s'appliquer aux autres endroits qu'on a vus, y compris aux voitures, qui sont récentes et de fabrication chinoises. D'ailleurs j'imaginais qu'il y en aurait beaucoup moins, mais apparemment certaines personnes réussissent à bien tirer leur épingle du jeu.


Je partage ma chambre avec le Québécois Antoine. Nous sommes descendus à 20h30 pour boire un coup au bar, où ils servent de la bière brassée localement à l'hôtel. Les serveuses et l'ensemble du personnel de l'hôtel n'est pas bien bavard – toujours un problème de communication interlinguistique – mais souriant. J'ai bu deux bières tout en étant allé faire un tour dans le lobby de l'hôtel pour voir ce qu'il y avait. J'ai trouvé des cartes-postales et des timbres à une petite poste ouverte 24 heures, au comptoir de laquelle se trouvaient deux dames rigolotes et très aimables qui m'ont aidé à coller les timbres sur les cartes, car j'avais beau les lécher, les timbres n'adhéraient pas. Il faut passer le doigt dans un pot de colle et l'appliquer au dos du timbre.

Je voulais partir tôt après mes deux bières mais j'ai été pris dans la conversation avec Chris, un des responsables de YPT, et les autres et je me suis laissé entraîner au sous-sol de l'hôtel, où se trouvent trois lignes de bowling. D'autres avaient entamé une partie alors je me suis contenté de discuter sur place. On m'a quand même laissé lancer la boule deux ou trois fois, avec des résultats mitigés. J'ai essayé d'engager la conversation avec les serveuses en leur montrant une fresque murale assez kitsch représentant une montagne. Une m'a dit le nom de la montagne et une autre m'a dit « karaoké », essayant de m'attirer, moi et mes camarades de voyages, vers la salle de karaoké au bout du couloir afin que nous y laissions quelques devises. Après la partie de bowling, plusieurs d'entre nous sommes allés beugler dans le micro. Ce n'était définitivement pas la même qualité de chant qu'avec mes collègues à Séoul mais c'était amusant tout de même. Résultat des courses, je suis rentré à ma chambre presque à 2 heures du matin, mais pour ne pas trop perdre de mon expérience unique dans ce pays unique, j'ai préféré me priver (encore une fois) de sommeil pour l'écrire ici même. Le réveil à 6h20 va être difficile.

2 commentaires:

  1. Que de détails! Et on en est à la première journée seulement.

    J'ai mis un lien vers ton article sur mon blog pour ceux qui ça pourrait intéresser.

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  2. Merci! Je mettrai un lien vers ton article aussi quand j'en aurai terminé avec la RPDC. Il se peut aussi que je te pique certaines de tes vidéos, qui sont super!

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