lundi 16 décembre 2013

Pendant ce temps, à Nampo

Nampo

28 novembre 2013



La maison où a vécu et travaillé Kim Il-sung à Pyongyang abrite aujourd'hui le double mausolée où le peuple nord-coréen vient rendre hommage avec émotion à ses deux grands dirigeants décédés, le père et le fils, embaumés et visibles dans un sarcophage de verre. À Moscou, il y a plus de dix ans, j'étais allé visiter le mausolée de Lénine, où l'on devait se débarrasser de son manteau et passer au détecteur de métaux, puis on marchait plus ou moins en file indienne (autant que les Russes puissent le faire), et on passait près du corps embaumé sous verre de Lénine sans s'arrêter, juste le temps d'apercevoir un petit corps ressemblant à une poupée de cire. On n'y passe pas plus de dix minutes, douche comprise.  
Vu dans un magazine : Exposition d'art - des Coréens admirent des tableaux représentant Kim Il-sung admirant des tableaux. Ce n'est pas tout à fait une mise en abyme mais plutôt une plongée dans les abîmes du culte de la personnalité.
Au mausolée des Kim à Pyongyang, non seulement il faut se débarrasser de tout objet superflu, mais on nous fait passer par un long couloir menant au mausolée proprement dit, un détecteur de métaux et un nettoyeur de chaussures pour ne point souiller l'endroit le plus sacré du pays. Dans le corridor menant au mausolée, un tapis roulant traîne le fidèle pendant deux minutes, qu'il est interdit de raccourcir en marchant. Le partisan doit avancer en silence en prenant le temps de réfléchir à la gravité du moment. Nous, nous parlions un peu, à voix basse, même avec les guides, mais de sujets importants. On longe encore plusieurs couloirs décorés de photos des deux leaders apportant leur éclairage ponctuel aux divers corps de la société nord-coréenne, Kim Il-sung généralement souriant, heureux et photogénique et son fils Kim Jong-il généralement caché derrière des lunettes de soleil et concentré sur un objet ou pointant du doigt quelque chose derrière l'objectif. Dans une première salle, on doit s'incliner par rangs de quatre personnes devant un grand portrait des deux dirigeants, puis nous passons une dernière soufflerie pour nous débarrasser de toute poussière et nous rendre plus présentables. Enfin, nous rentrons dans une salle majestueuse gardée par des soldats et des surveillants, au centre de laquelle trône le cercueil de verre de Kim Il-sung. Tout le monde se met en rang par trois et, tour à tour, les rangs s'avancent en faisant face à la dépouille et s'inclinent pendant une ou deux secondes. Puis on passe sur le côté gauche et on recommence. Bien bas. Puis on fait le tour pour se présenter côté gauche et on s'incline une nouvelle fois, avec toute la solennité que requiert le moment. La visite se poursuit par une exposition des décorations, diplômes et médailles reçus par le fondateur de la Corée du Nord, médailles décernées par le Parlement de la Corée du Nord – en gros par lui-même –, par d'autres pays, pas seulement du bloc socialiste mais aussi du monde occidental, y compris de France, et par des organisations internationales. On passe ensuite dans une pièce où est exposé le wagon dans lequel Kim Il-sung voyageait à travers son pays et l'Eurasie.


Le mausolée des Kim à Pyongyang
C'est ensuite au tour de Kim Jong-il. Même procédure. On s'incline trois fois – une fois devant lui et une fois de chaque côté, mais pas derrière. Tout le monde doit jouer le jeu, quelles que soient nos convictions, sinon on ne vient pas en Corée du Nord, ou alors on se fait expulser. On feint de s'émerveiller devant les nombreuses décorations internationales exposées dans la salle prévue à cet effet, puis on apprend combien de kilomètres Kim Jong-il a parcouru pour aller à la rencontre de son peuple, en train essentiellement car il avait paraît-il une phobie de l'avion, au moyen d'une carte animée ; on voit le wagon dans lequel il voyageait et où il est mort, son bateau, sa voiture, ainsi que de nombreuses photos le représentant en compagnie de soldats, d'enfants ou de simples citoyens attendant de lui ses conseils éclairés. Dans une salle, en passant d'une momie à l'autre, une guide coréenne nous a expliqué d'une voix au ton exagérément chargé en émotion, des trémolos à la pelle, les circonstances de la mort de Kim Il-sung. Un grand moment de cinéma qui, semble-t-il, fait son petit effet auprès des Nord-Coréens, mais pas seulement.


Scène de rue à Pyongyang
Nous repartons par le même chemin, en empruntant les escalators et les tapis roulants jusqu'au vestiaire. En chemin, de nombreux Coréens que nous croisons, souvent bien mis, les hommes en costume-cravate et les femmes en habit traditionnel, nous dévisagent du coin de l’œil. Ils viennent peut-être de la campagne, où on ne voit pas beaucoup d'étrangers. Ils arborent tous une mine contrite, grave, car ils vont voir la dépouille de leurs deux dirigeants bien aimés, mais ils sont curieux de voir que des étrangers viennent aussi rendre hommage aux Kim. Peut-être sont-ils choqués de voir que nous ne sommes pas en costume ou que nous parlons sur le tapis roulant du retour. Mais je pense que la curiosité est le sentiment dominant. La visite du mausolée – l'ancien palais personnel de Kim Il-sung – se termine par un tour dans le parc faisant face au palais. À l'aller j'ai demandé à un de mes guides où vivait l'actuel dirigeant, Kim Jong-un, s'il y avait un palais présidentiel ou quelque chose du genre. Il m'a avoué qu'il n'en avait aucune idée, précisant que c'était une question de sécurité de garder le lieu de résidence du leader secret, mais je me suis demandé à quel point les guides croient ce qu'ils nous racontent. D'après notre accompagnateur Troy, ils savent des choses, croient certaines choses mais ne se font pas trop d'idées sur d'autres.
Scène de rue à Pyongyang

Suite du programme : visite du métro de Pyongyang. Dix-huit stations réparties sur deux lignes. On nous fait visiter trois stations : celle où on monte dans le train, une station intermédiaire et, six arrêts plus loin, une autre station où l'on revient à la surface. Il a beaucoup de similarités avec le métro de Moscou : très profond, décoré de fresques monumentales. Les wagons sont similaires, jadis utilisés dans le métro de Berlin-Est et donné à la chute du mur par la ville de Berlin, d'où les tags en allemand. Là, nous nous mêlons à la foule nord-coréenne. Les gens font à peine attention à nous. Un vieux nous invite avec insistance, en russe, à nous asseoir, alors que c'est nous, les jeunes, qui devons céder notre place aux personnes âgées. Il était souriant et avait l'air heureux de nous voir. L'expérience était fascinante et les stations photogéniques. Nos guides se sont pris un gros coup de stress à un moment quand ils se sont aperçus qu'une des nôtres manquait. Heureusement, elle avait pris le train suivant. Sur les quais du métro, les gens lisent le journal affiché sur des kiosques. Je m'imagine les titres tels que j'en ai vu dans des publications en anglais « Le leader Kim Jong-un monte sur un petit bateau en bois », « La forêt est plus frétillante que jamais », avec des informations cruciales comme « le leader Kim Jong-un, en visite dans une biscuiterie a goûté un biscuit et a dit qu'il était bon ». Comme à Moscou, les fresques mettent en valeur les réalisations de l'économie nationale et les exploits des leaders. Les portraits de ceux-ci surmontent chaque porte en bout de wagon dans le métro. À aucun moment il ne faut oublier qui c'est le chef ! En surface, à l'entrée des stations que nous avons visitées, on peut consulter un plan de métro interactif. Si on presse sur le bouton correspondant à la station où on veut aller, le plan indique par où aller et où changer. Dans la mesure où il n'y a que deux lignes qui se croisent à un endroit seulement, le système d'orientation paraît complètement absurde et inutile.

La carte interactive des deux lignes du métro de Pyongyang
Tout usager du métro de Pyongyang voyage sous la bienveillante supervision des Kim
En RPDC, la presse est tellement libre qu'elle est mise à disposition de tout citoyen gratuitement dans le métro

Nous sommes remontés en surface à l'Arc de triomphe puis nous avons repris le bus pour le monument du parti, édifice massif présentant trois mains tendant vers le haut une faucille, un marteau et un pinceau d'écrivain. Les deux premiers sont classiques mais le dernier n'est pas négligeable, car il symbolise l'adhésion des intellectuels aux idées du parti, qui n'est donc pas seulement un parti d'ouvriers et de paysans. Il faisait un temps extrêmement clair, un soleil radieux mais un vent à décorner les cocus. En chemin, plusieurs de mes camarades de voyage et moi-même avons essayé de prendre en photo les agentes de la circulation, qui, dans leurs costumes turquoise garnis de fourrure et sur leurs talons (tenue hivernale), sont les femmes les plus sexy de Pyongyang. Malheureusement, depuis le bus, c'est très difficile d'obtenir une bonne photo d'elles.

Le tramway de Pyongyang, une image familière aux habitués des anciens pays du bloc de l'Est
L'arc de triomphe de Pyongyang
Une agente de la circulation, parée de ses plus beaux atours
Monument du parti des travailleurs à Pyongyang

Repas de fondue coréenne. La viande dans le bouillon était pleine de gras et en très petite quantité mais d'autres plats, dans l'ensemble très bons, arrivaient tour à tour, jusqu'au riz à la fin. Après le repas, nous sommes allés voir la tour du Juche – l'idéologie locale de l'autosuffisance – qu'on apercevait très bien depuis le 33e étage de notre hôtel. On pouvait payer un petit supplément et monter au sommet de la colonne, au pied de la flamme, pour y admirer une vue incomparable de Pyongyang s'étalant dans toutes les directions. Le vent était toujours aussi fort, donc on ne s'attardait pas trop longtemps là-haut.

Fait pas bien chaud en haut de la tour du juche, à Pyongyang

Dernier arrêt à Pyongyang : un collège pour enfants doués, où des garçons et des filles – mais surtout des filles – en uniforme nous ont fait un spectacle incluant surtout de la musique et du chant et quelques chorégraphies. À la fin, les filles nous ont invités à danser avec elles. On ne savait pas trop quoi faire, car il fallait suivre une chorégraphie dont on n'avait aucune idée. Comme toute bonne danse de groupe avec des touristes qui se respecte, nous avons terminé par une ronde tous ensemble, au son des jeunes élèves jouant du clavier, de la batterie, de l'accordéon et de la basse.

Nous autres et eux autres
Fini Pyongyang pour aujourd'hui. Nous nous sommes mis en route pour la côte ouest, plus précisément Nampo. Dès la sortie de Pyongyang nous nous sommes trouvés sur une route à 2x6 voies quasiment inutilisée, surtout que la chaussée de l'autre côté n'avait pas de revêtement et était donc impraticable. De notre côté non plus la route n'était pas terrible. On ne dépassait probablement pas le 70-80 km/h, comme sur l'autoroute de Kaesong. Le paysage ne présentait pas grand intérêt, donc après un peu de rédaction sur mon ordinateur, je me suis endormi, jusqu'à ce qu'on arrive à notre première destination : une grande digue complétée par un barrage qui, nous ont répété les guides, a changé la vie de tous les gens de la région. Je veux bien le croire, car l'installation monumentale – dont la construction aurait dû, selon les ingénieurs, durer 20 à 30 ans, mais qui a duré seulement 5 ans grâce à l'intervention de l'armée – a permis de réguler le niveau du fleuve Taedong, d'empêcher la mer de remonter jusqu'à Pyongyang, et de permettre une meilleure irrigation avec de l'eau douce. Sur l'île d'où l'on a un panorama sur la digue, les montagnes et la mer, de jeunes mariés en costumes traditionnels venaient se faire prendre en photo devant le monument représentant une ancre afin d'immortaliser le plus beau jour de leur vie. J'ai aussi immortalisé l'instant. On nous a dispensé un petit cours sur la construction de la digue, dont Kim Il-sung lui-même, figurez-vous, a choisi l'emplacement, puis le bus est reparti sur la digue et sur un chemin de terre pour nous emmener à notre hôtel. En chemin, de nombreux passants nous saluaient, pas du tout traumatisés par le fait que nous soyons des occidentaux impérialistes et bellicistes qui veulent détruire leur beau pays en le vendant aux capitalistes.

Le monument à la construction de la digue de Nampo

L'hôtel est, je crois un sanatorium autrefois réservé à l'élite du régime et aujourd'hui reconverti pour accueillir des groupes de touristes occidentaux. On sent un certain luxe suranné. La belle moquette avec plancher chauffant, les nombreux rangements, les fauteuils, les grands lits. L'intérêt majeur de chaque chambre est le bain bouillonnant. L'eau qui sort des robinets est non seulement potable mais a des propriétés curatives (d'après le prospectus, on pourrait croire que la seule chose qu'elle ne soigne pas, c'est la mythomanie) et on peut s'en servir pour remplir une grande baignoire pour faire un genre de jacuzzi. Ce n'est pas le genre de choses qui m'intéresse et je me suis dit que j'allais laisser tomber, puis j'ai changé d'avis et j'ai commencé à faire couler l'eau. Au bout de 10 minutes, toujours pas d'eau chaude. Ma foi tant pis, pas de jacuzzi, donc ; je survivrai. Mais si la douche est froide comme ça demain matin, il est peu probable que je me lave. Notre accompagnateur Troy nous a expliqué qu'il fallait une vingtaine de minutes pour que l'eau vienne. On verra demain.
La digue, la digue (de Nampo à Montaigu)


Repas au restaurant du sanatorium puis soirée billard-bières-soju-ping-pong. Bonne ambiance, bonne compagnie. J'ai tenu jusqu'à 1 heures et puis l'appel du blog s'est fait entendre.

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