Nampo
28
novembre 2013
La
maison où a vécu et travaillé Kim Il-sung à Pyongyang abrite aujourd'hui le
double mausolée où le peuple nord-coréen vient rendre hommage avec
émotion à ses deux grands dirigeants décédés, le père et le
fils, embaumés et visibles dans un sarcophage de verre. À Moscou,
il y a plus de dix ans, j'étais allé visiter le mausolée de
Lénine, où l'on devait se débarrasser de son manteau et passer au
détecteur de métaux, puis on marchait plus ou moins en file
indienne (autant que les Russes puissent le faire), et on passait près du corps embaumé sous verre de Lénine
sans s'arrêter, juste le temps d'apercevoir un petit corps
ressemblant à une poupée de cire. On n'y passe pas plus de dix
minutes, douche comprise.
Au
mausolée des Kim à Pyongyang, non seulement il faut se débarrasser
de tout objet superflu, mais on nous fait passer par un long couloir
menant au mausolée proprement dit, un détecteur de métaux et un
nettoyeur de chaussures pour ne point souiller l'endroit le plus
sacré du pays. Dans le corridor menant au mausolée, un tapis
roulant traîne le fidèle pendant deux minutes, qu'il est interdit
de raccourcir en marchant. Le partisan doit avancer en silence en
prenant le temps de réfléchir à la gravité du moment. Nous, nous
parlions un peu, à voix basse, même avec les guides, mais de sujets
importants. On longe encore plusieurs couloirs décorés de photos
des deux leaders apportant leur éclairage ponctuel aux divers corps
de la société nord-coréenne, Kim Il-sung généralement souriant,
heureux et photogénique et son fils Kim Jong-il généralement caché
derrière des lunettes de soleil et concentré sur un objet ou
pointant du doigt quelque chose derrière l'objectif. Dans une
première salle, on doit s'incliner par rangs de quatre personnes
devant un grand portrait des deux dirigeants, puis nous passons une
dernière soufflerie pour nous débarrasser de toute poussière et
nous rendre plus présentables. Enfin, nous rentrons dans une salle
majestueuse gardée par des soldats et des surveillants, au centre de
laquelle trône le cercueil de verre de Kim Il-sung. Tout le monde se
met en rang par trois et, tour à tour, les rangs s'avancent en faisant
face à la dépouille et s'inclinent pendant une ou deux secondes. Puis
on passe sur le côté gauche et on recommence. Bien bas. Puis on
fait le tour pour se présenter côté gauche et on s'incline une
nouvelle fois, avec toute la solennité que requiert le moment. La
visite se poursuit par une exposition des décorations, diplômes et
médailles reçus par le fondateur de la Corée du Nord, médailles
décernées par le Parlement de la Corée du Nord – en gros par
lui-même –, par d'autres pays, pas seulement du bloc socialiste
mais aussi du monde occidental, y compris de France, et par des
organisations internationales. On passe ensuite dans une pièce où
est exposé le wagon dans lequel Kim Il-sung voyageait à travers son pays et
l'Eurasie.
Le mausolée des Kim à Pyongyang |
C'est
ensuite au tour de Kim Jong-il. Même procédure. On s'incline trois
fois – une fois devant lui et une fois de chaque côté, mais pas
derrière. Tout le monde doit jouer le jeu, quelles que soient nos
convictions, sinon on ne vient pas en Corée du Nord, ou alors on se
fait expulser. On feint de s'émerveiller devant les nombreuses
décorations internationales exposées dans la salle prévue à cet
effet, puis on apprend combien de kilomètres Kim Jong-il a parcouru
pour aller à la rencontre de son peuple, en train essentiellement
car il avait paraît-il une phobie de l'avion, au moyen d'une carte
animée ; on voit le wagon dans lequel il voyageait et où il est
mort, son bateau, sa voiture, ainsi que de nombreuses photos le
représentant en compagnie de soldats, d'enfants ou de simples
citoyens attendant de lui ses conseils éclairés. Dans une salle, en passant d'une momie à l'autre, une guide coréenne nous a expliqué d'une
voix au ton exagérément chargé en émotion, des trémolos à la pelle, les
circonstances de la mort de Kim Il-sung. Un grand moment de cinéma qui, semble-t-il, fait son petit effet auprès des Nord-Coréens, mais pas seulement.
Scène de rue à Pyongyang |
Nous
repartons par le même chemin, en empruntant les escalators et les
tapis roulants jusqu'au vestiaire. En chemin, de nombreux Coréens
que nous croisons, souvent bien mis, les hommes en costume-cravate et
les femmes en habit traditionnel, nous dévisagent du coin de l’œil.
Ils viennent peut-être de la campagne, où on ne voit pas beaucoup
d'étrangers. Ils arborent tous une mine contrite, grave, car ils
vont voir la dépouille de leurs deux dirigeants bien aimés, mais
ils sont curieux de voir que des étrangers viennent aussi rendre
hommage aux Kim. Peut-être sont-ils choqués de voir que nous ne
sommes pas en costume ou que nous parlons sur le tapis roulant du
retour. Mais je pense que la curiosité est le sentiment dominant. La
visite du mausolée – l'ancien palais personnel de Kim Il-sung –
se termine par un tour dans le parc faisant face au palais. À
l'aller j'ai demandé à un de mes guides où vivait l'actuel
dirigeant, Kim Jong-un, s'il y avait un palais présidentiel ou
quelque chose du genre. Il m'a avoué qu'il n'en avait aucune idée, précisant que c'était une question de sécurité de garder le lieu de
résidence du leader secret, mais je me suis demandé à quel point
les guides croient ce qu'ils nous racontent. D'après notre
accompagnateur Troy, ils savent des choses, croient certaines choses
mais ne se font pas trop d'idées sur d'autres.
Suite
du programme : visite du métro de Pyongyang. Dix-huit stations
réparties sur deux lignes. On nous fait visiter trois stations :
celle où on monte dans le train, une station intermédiaire et, six arrêts plus
loin, une autre station où l'on revient à la surface. Il a beaucoup
de similarités avec le métro de Moscou : très profond, décoré
de fresques monumentales. Les wagons sont similaires, jadis utilisés dans le métro de Berlin-Est et donné à la chute du mur par la ville de Berlin, d'où les tags en allemand. Là, nous nous mêlons à
la foule nord-coréenne. Les gens font à peine attention à nous. Un
vieux nous invite avec insistance, en russe, à nous asseoir, alors
que c'est nous, les jeunes, qui devons céder notre place aux
personnes âgées. Il était souriant et avait l'air heureux de nous
voir. L'expérience était fascinante et les stations photogéniques.
Nos guides se sont pris un gros coup de stress à un moment quand ils
se sont aperçus qu'une des nôtres manquait. Heureusement, elle avait
pris le train suivant. Sur les quais du métro, les gens lisent le
journal affiché sur des kiosques. Je m'imagine les titres tels que
j'en ai vu dans des publications en anglais « Le leader Kim
Jong-un monte sur un petit bateau en bois », « La forêt
est plus frétillante que jamais », avec des informations
cruciales comme « le leader Kim Jong-un, en visite dans une
biscuiterie a goûté un biscuit et a dit qu'il était bon ».
Comme à Moscou, les fresques mettent en valeur les réalisations de
l'économie nationale et les exploits des leaders. Les portraits de
ceux-ci surmontent chaque porte en bout de wagon dans le métro. À
aucun moment il ne faut oublier qui c'est le chef ! En surface,
à l'entrée des stations que nous avons visitées, on peut consulter
un plan de métro interactif. Si on presse sur le bouton
correspondant à la station où on veut aller, le plan indique par où
aller et où changer. Dans la mesure où il n'y a que deux lignes qui
se croisent à un endroit seulement, le système d'orientation paraît complètement absurde et inutile.
La carte interactive des deux lignes du métro de Pyongyang |
Tout usager du métro de Pyongyang voyage sous la bienveillante supervision des Kim |
En RPDC, la presse est tellement libre qu'elle est mise à disposition de tout citoyen gratuitement dans le métro |
Nous
sommes remontés en surface à l'Arc de triomphe puis nous avons
repris le bus pour le monument du parti, édifice massif présentant
trois mains tendant vers le haut une faucille, un marteau et un
pinceau d'écrivain. Les deux premiers sont classiques mais le
dernier n'est pas négligeable, car il symbolise l'adhésion des
intellectuels aux idées du parti, qui n'est donc pas seulement un parti d'ouvriers et de paysans. Il faisait un temps extrêmement
clair, un soleil radieux mais un vent à décorner les cocus. En
chemin, plusieurs de mes camarades de voyage et moi-même avons
essayé de prendre en photo les agentes de la circulation, qui, dans
leurs costumes turquoise garnis de fourrure et sur leurs talons (tenue hivernale), sont
les femmes les plus sexy de Pyongyang. Malheureusement, depuis le
bus, c'est très difficile d'obtenir une bonne photo d'elles.
Le tramway de Pyongyang, une image familière aux habitués des anciens pays du bloc de l'Est |
L'arc de triomphe de Pyongyang |
Une agente de la circulation, parée de ses plus beaux atours |
Monument du parti des travailleurs à Pyongyang |
Repas
de fondue coréenne. La viande dans le bouillon était pleine de gras
et en très petite quantité mais d'autres plats, dans l'ensemble
très bons, arrivaient tour à tour, jusqu'au riz à la fin. Après
le repas, nous sommes allés voir la tour du Juche – l'idéologie
locale de l'autosuffisance – qu'on apercevait très bien depuis le
33e étage de notre hôtel. On pouvait payer un petit supplément et
monter au sommet de la colonne, au pied de la flamme, pour y admirer
une vue incomparable de Pyongyang s'étalant dans toutes les
directions. Le vent était toujours aussi fort, donc on ne
s'attardait pas trop longtemps là-haut.
Dernier
arrêt à Pyongyang : un collège pour enfants doués, où des
garçons et des filles – mais surtout des filles – en uniforme
nous ont fait un spectacle incluant surtout de la musique et du chant
et quelques chorégraphies. À la fin, les filles nous ont invités à
danser avec elles. On ne savait pas trop quoi faire, car il fallait
suivre une chorégraphie dont on n'avait aucune idée. Comme toute
bonne danse de groupe avec des touristes qui se respecte, nous avons
terminé par une ronde tous ensemble, au son des jeunes élèves
jouant du clavier, de la batterie, de l'accordéon et de la basse.
Nous autres et eux autres |
Fini
Pyongyang pour aujourd'hui. Nous nous sommes mis en route pour la
côte ouest, plus précisément Nampo. Dès la sortie de Pyongyang
nous nous sommes trouvés sur une route à 2x6 voies quasiment
inutilisée, surtout que la chaussée de l'autre côté n'avait pas
de revêtement et était donc impraticable. De notre côté non plus
la route n'était pas terrible. On ne dépassait probablement pas le
70-80 km/h, comme sur l'autoroute de Kaesong. Le paysage ne
présentait pas grand intérêt, donc après un peu de rédaction sur
mon ordinateur, je me suis endormi, jusqu'à ce qu'on arrive à notre
première destination : une grande digue complétée par un
barrage qui, nous ont répété les guides, a changé la vie de tous
les gens de la région. Je veux bien le croire, car l'installation
monumentale – dont la construction aurait dû, selon les
ingénieurs, durer 20 à 30 ans, mais qui a duré seulement 5 ans
grâce à l'intervention de l'armée – a permis de réguler le
niveau du fleuve Taedong, d'empêcher la mer de remonter jusqu'à
Pyongyang, et de permettre une meilleure irrigation avec de l'eau
douce. Sur l'île d'où l'on a un panorama sur la digue, les
montagnes et la mer, de jeunes mariés en costumes traditionnels
venaient se faire prendre en photo devant le monument représentant
une ancre afin d'immortaliser le plus beau jour de leur vie. J'ai
aussi immortalisé l'instant. On nous a dispensé un petit cours sur
la construction de la digue, dont Kim Il-sung lui-même,
figurez-vous, a choisi l'emplacement, puis le bus est reparti sur la
digue et sur un chemin de terre pour nous emmener à notre hôtel. En
chemin, de nombreux passants nous saluaient, pas du tout traumatisés
par le fait que nous soyons des occidentaux impérialistes et
bellicistes qui veulent détruire leur beau pays en le vendant aux
capitalistes.
Le monument à la construction de la digue de Nampo |
L'hôtel
est, je crois un sanatorium autrefois réservé à l'élite du régime
et aujourd'hui reconverti pour accueillir des groupes de touristes
occidentaux. On sent un certain luxe suranné. La belle moquette avec
plancher chauffant, les nombreux rangements, les fauteuils, les
grands lits. L'intérêt majeur de chaque chambre est le bain
bouillonnant. L'eau qui sort des robinets est non seulement potable
mais a des propriétés curatives (d'après le prospectus, on pourrait croire que la seule chose qu'elle ne soigne pas, c'est la mythomanie) et on peut s'en servir pour remplir une
grande baignoire pour faire un genre de jacuzzi. Ce n'est pas le
genre de choses qui m'intéresse et je me suis dit que j'allais
laisser tomber, puis j'ai changé d'avis et j'ai commencé à faire
couler l'eau. Au bout de 10 minutes, toujours pas d'eau chaude. Ma foi tant pis, pas de jacuzzi, donc ; je survivrai. Mais si la douche est froide
comme ça demain matin, il est peu probable que je me lave. Notre
accompagnateur Troy nous a expliqué qu'il fallait une vingtaine de
minutes pour que l'eau vienne. On verra demain.
La digue, la digue (de Nampo |
Repas
au restaurant du sanatorium puis soirée
billard-bières-soju-ping-pong. Bonne ambiance, bonne compagnie. J'ai
tenu jusqu'à 1 heures et puis l'appel du blog s'est fait entendre.
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