jeudi 12 décembre 2013

Pendant ce temps, en Corée du Nord

Pyongyang – DMZ – Kaesong

27 novembre 2013



Appel de réveil prévu à 6h30, petit-déjeuner à 7 heures – buffet de viande, kimchi, repas complet salé si on le souhaitait, accompagné de vidéos de gymnastique coréenne, avec la musique qui va avec, j'ai eu comme une grosse baffe de Véronique et Davina, la douche en moins – et départ des bus à 7h30. Direction le sud et la zone démilitarisée, dont j'ai déjà parlé dans ce billet. Le jour se levait tout juste quand nous sommes partis de Pyongyang. De ma chambre d'hôtel au 33e étage, j'ai une vue imprenable sur le fleuve Taedong, qui encercle notre hôtel, et sur la tour du Juche, l'idéologie communiste de l'autonomie à la sauce locale, belle tour sur laquelle est juchée (ha !) une flamme rouge qui m'a l'air fort massive. De nuit, on ne distingue presque pas la sombre rivière des zones construites, qui devraient montrer signe de vie par des lumières émanant des appartements. Les lumières sont très faibles et on ne voit que quelques points lumineux de part et autre du fleuve. À 7 heures la ville s'éveille et les rues se remplissent (« s'encombrent » seraient un peu hyperbolique) de voitures. Avant d'arriver en Corée du Nord, j'imaginais des rues et des carrefours quasiment sans voiture, mais il paraît que cela a beaucoup changé depuis un an environ. Les rues sont désormais animées par des taxis pékinois et des voitures, chinoises surtout.

La vue depuis la chambre 3307 du Yanggakdo, à Pyongyang
La route qui mène de Pyongyang à la zone démilitarisée et qui passe par Kaesong est la principale voie de communication routière du pays : une autoroute d'environ 200 km de long passant à travers des paysages splendides de montagnes et de rizières. Quelques paysans travaillaient aux champs mais on n'a pas vu beaucoup de machines agricoles. Le bœuf est la principale force de traction à la campagne. Une autoroute dans un pays où les gens n'ont pas de voiture, c'est un peu incongru, mais selon moi, il s'agissait pour le régime à la fois de donner du travail aux ouvriers et de mettre en pratique l'enseignement en ingénierie routière en construisant des ponts et des tunnels dans un environnement accidenté, mais aussi de créer une voie de communication pour le transport de troupes vers le sud. En cas d'invasion depuis le sud, les tunnels, parfois inutiles pour le simple transport de véhicules, peuvent être détruits afin de barrer le passage aux troupes ennemies. 
Il est sept heures, Pyongyang s'éveille
 
Il faut trois heures pour rallier la zone démilitarisée depuis Pyongyang, pour une distance de seulement 170 km. La route est très mauvaise et cahoteuse : les nids de poule sont nombreux, il n'y a pas de marquage au sol et le revêtement n'est pas régulier. La route est la plupart du temps vide mais aussi empruntée par les piétons et les vélos. De plus, la météo n'était pas de notre côté ce matin et des groupes de paysans « volontaires » balayaient la neige sur la route. Nous avons fait une halte dans une station de repos où nous avons pu nous mettre au milieu de l'autoroute et photographier des deux côtés l'absence complète de circulation. Une passerelle contenant un restaurant déserté enjambe l'autoroute mais le café et les souvenirs étaient vendus au premier étage de notre côté de l'autoroute.

L'"autoroute" Pyongyang-Kaesong
L'autoroute en service la moins dangereuse à traverser au monde
Paysages nord-coréens, dont la beauté bucolique a probablement été inspirée par "notre cher leader"

À l'approche de la DMZ il a commencé à neiger plus fort et le paysage alentour devenait de plus en plus blanc. Nous avons passé plusieurs barrages militaires légers, où il fallait ralentir pour attendre que la barrière s'ouvre et ne pas prendre de photo, puis nous sommes arrivés à l'entrée de la DMZ à proprement parler. Nous avons visité l'endroit où a été signé l'armistice mettant fin aux hostilités entre les troupes engagées dans la guerre de Corée. Un gradé nord-coréen nous a fait la leçon d'histoire de façon professionnelle mais détendue. On pouvait même le photographier alors qu'on a pour stricte consigne en Corée du Nord de ne pas photographier les militaires. Il faisait un temps affreux : grosse neige, froid glacial. Mais la neige cachait la laideur du paysage, comme partout ailleurs, et donnait un éclat de pureté aux champs normalement jaunes et ternes en cette saison. La joie que procure généralement la neige n'a pas épargné les locaux : nos guides s'amusaient à glisser sur la neige et à s'envoyer des boules de neige alors que nous nous trouvions dans un endroit où la contenance était de mise au vu de sa situation militaire. Cela m'a donné une fois de plus une autre perspective sur la vie en Corée du Nord. Les gens n'y sont pas des automates sans émotions qui font preuve d'une retenue indéfectible quelle que soit la situation. Ce sont des êtres humains qui, malgré l'endoctrinement, aiment s'amuser quand l'occasion se présente.

Pénurie de parapluies en RPDC
Notre militaire nous explique la DMZ et la JSA

On nous a fait visiter une petite salle en nous expliquant la situation géopolitique de la zone démilitarisée, juste après un petit magasin de souvenirs, puis on nous a emmenés en bus dans la Zone commune de sécurité (JSA) où j'étais allé depuis Séoul deux semaines auparavant. Si la visite du côté sud était minutée et extrêmement contrôlée, au nord, on nous laissait paradoxalement beaucoup plus de champ libre. On pouvait photographier où on voulait, y compris les militaires, le groupe était très dissipé et bruyant. Nous sommes montés sur le balcon du grand bâtiment d'apparat faisant face à la zone sud, avons pris des photos de groupe et avec les militaires, mais nous ne sommes pas descendus dans les baraques bleues par lesquelles on peut traverser la frontière. Ça a été une petite déception pour moi mais l'expérience de la JSA côté nord a quand même été très bonne.

Sous la neige à la JSA
Face à la Corée du Sud

Après la JSA, on nous a emmenés à Kaesong, l'une des plus grandes villes du pays et première capitale de la Corée unifiée, dans un restaurant servant un repas avec plein de petites choses à goûter. Rien de bien nouveau cependant quand on a passé un mois en Corée du Sud. 
Néanmoins, moyennant 5 euros par personne, on pouvait commander de la soupe de chien. Intéressé par l'expérience, je me suis fendu de 5 euros et j'ai goûté. Beaucoup de personnes étaient révoltées à l'idée de manger du chien, mais il le reconnaissent eux-mêmes, c'est psychologique. 
Kaesong
Ouh, c'est un bon toutou ça
Eh bien je dois dire – que Bonnie, Wolf, Puchi, Flaco, Boogie et Martigalka me pardonnent – que c'était excellent. C'était même ce qu'il y avait de meilleur pendant ce repas : un bouillon un peu épicé et de petits morceaux de viande très tendre. Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas sûr qu'on nous ait vraiment servi du caniche. Le goût était exactement celui de l'agneau. Officiellement, c'était du chien. En Europe, on ferait plutôt le contraire : on vendrait du chien en le faisant passer pour de l'agneau.


Le repas a été suivi d'une visite d'un palais/université fondé par un roi de Corée. Notre guide nous a conté ses exploits et nous a montré des artéfacts produits à l'époque de ce roi, dans un édifice typiquement coréen comme j'en ai vu des tas au sud. Notre visite de Kaesong, une des rares villes qui n'aurait pas été rasées par les bombardements américains et qui donc recelait encore de vieux quartiers traditionnels, s'est terminée non pas par un tour dans les vieilles ruelles mais par une visite du magasin de souvenirs. Pour finir, nous n'avons pas vu le côté traditionnel de Kaesong. La neige s'était arrêté de tomber et il s'était mis à faire un temps magnifique qui faisait resplendir le paysage tout enneigé. 

Dans le bus, je me suis assis sur le strapontin à côté du chauffeur et j'ai mitraillé le paysage avec mon appareil photo. J'étais au premier rang pour voir l'autoroute tantôt vide, tantôt remplie de paysans balayant la neige.

Pyongyang - 144 km
"Volontaires" déblayant l'autoroute

Le tourisme intensif et les trois heures seulement de sommeil ont eu raison de ma motivation à tout voir et je me suis assoupi l'appareil photo entre les mains. Nous avons fait une nouvelle halte à la station de repos sur l'autoroute puis nous avons poursuivi vers Sariwon, une jolie petite ville où nous nous sommes contentés de grimper au sommet d'un rocher sur lequel trônait une petite maison de thé de style coréen pour admirer la vue. Le vent était glacial et nous n'avons pas tenu bien longtemps. En bas, où le bus nous attendait, se déroulait un spectacle autrement plus intéressant, même si la vue d'en haut était effectivement magnifique. Nous étions à ce qui m'avait tout l'air d'un carrefour routier, en pleine ville, entouré un petit lac, d'une rivière et de petites maisons traditionnelles et où transitaient des dizaines, voire des centaines, de cyclistes et de piétons. Pour voir des Nord-Coréens, c'était idéal. J'ai conscience que je parle des Nord-Coréens comme de la section primates au zoo de Beauval, mais de notre point de vue, ils sont une curiosité, puisqu'on n'en voit jamais, y compris en Corée du Nord, où les contacts sont limités.

Sariwon, vu de haut et de très froid
Sariwon
Enfants de Sariwon (Corée du Nord)

Le froid était mordant et nous sommes vite retournés dans le bus pour repartir à Pyongyang. Nous avons occupé notre temps à jouer à des jeux en groupe animés par notre accompagnateur de YPT, Troy. Pour nous récompenser d'une intense et froide journée de tourisme, on nous a fait visiter une micro-brasserie. En fait on est simplement allé dans un bar où on servait deux sortes de bières – une brune et une blonde, pas mauvaises du tout – produites apparemment sur place. Partout où nous allons, nous sommes généralement les seuls individus, en dehors du personnel. C'est à se demander si les endroits n'ouvrent pas seulement pour nous. La micro-brasserie n'a pas fait exception, car apparemment seuls quelques privilégiés ayant en poche des devises peuvent y aller. Le peuple, lui, ne fréquente pas ces endroits. 
La brune de la micro-brasserie de Pyongyang
Nous avons ensuite repris le bus pour aller au restaurant manger un barbecue de canard, ce me semble. C'était très bon. Bien lancés grâce à la micro-brasserie, nous avons repris des bières et je me sentais de boire du soju, la gnôle locale, pas très forte, mais vraiment pas bonne. Au Sud, j'avais pourtant bien aimé le soju, qui passait tout seul. Vers la fin du repas, une serveuse a commencé à jouer de l'accordéon et les quatre autres ont chanté et dansé, essayant d'entraîner certains d'entre nous. J'imagine qu'elles chantaient des chants patriotiques. Le seul que j'ai reconnu, d'après l'air, c'est l'Internationale, au son de laquelle l'Italien de notre groupe, un peu plus âgé que le reste du groupe, s'est levé pour bafouiller les paroles. Personne à par lui et moi ne semblait avoir reconnu la mélodie, ni même connaître la chanson. Mes compagnons de voyage sont soit trop jeunes soit trop ignorants.

Dave célèbre ses 24 ans en RPDC

La veille, au bar de l'hôtel, il y avait eu une ou deux coupures de courant, qui n'ont duré que quelques secondes. Ce soir au restaurant, il y a eu deux coupures qui ont duré une bonne minute chacune, ce qui est assez long. Mon voisin de table, Dave, un Australien, avait son anniversaire la veille et les serveuses sont venues lui apporter un énorme gâteau, pas mauvais du tout. L'ambiance était vraiment bon enfant, très joyeuse. Tout le monde voulait des photos avec les serveuses ou avec l'un des rappeurs américains venus en Corée du Nord tourner un clip pour devenir célèbres de retour chez eux.
Pas YMCA du tout
La musique traditionnelle kimilsunguiste rencontre la musique traditionnelle étasunienne

Retour en bus à l'hôtel, le temps d'une ou deux chansons par nos guides et accompagnateurs – Troy a même chanté la chanson traditionnelle coréenne Arirang – puis après être passé dans les chambres, nous sommes redescendus au sous-sol de l'hôtel ou plusieurs personnes étaient réunies autour des tables de ping-pong. J'ai un peu joué, un peu rouillé mais je me suis pas mal débrouillé, puis nous avons voulu faire un karaoké mais il y avait apparemment une réunion d'affaires qui s'y déroulait. Les autres sont allés à la salle de billard, moi j'ai préféré rentrer dans ma chambre pour faire mes trucs. Et je dois avouer que ça fait du bien, après toutes ces heures d'activités de groupe, de se retrouver seul un petit moment.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire